Page 69

27f 123

On s’imaginerait mal ce que ces logis peuvent être sordides. Dans l’angle droit formé par le couloir sur le dehors et celui qui accède à l’intérieur, un réduit noir, logement du bourricot ou du mulet, voire des deux. Me croira-t-on si je dis avoir vu un chameau accroupi, au milieu de ses excréments, dans la cour, qu’il remplissait toute? 11 ne pouvait entrer et sortir qu’en marchant sur les genoux. Debout, sa tête dépassait la terrasse, fraternisant avec le panache d’un palmier dont le tronc s’enfonçait dans les profondeurs sombres. Cela se voit assez souvent, la maison bâtie autour de l’arbre. Cette courette constitue l’unique pièce, avec, tout autour, des niches à lapin où l’on dort. Innommables taudis encombrés d’immondices qu’on enlève seulement quand ils gênent par trop. Si l’atmosphère n’est pas absolument méphitique, c’est grâce à l’ouverture de la terrasse, aussi malpropre que le reste, mais recuite par le soleil, qui purifie tout. De la « bidoche » sanguinolente y sèche, de la laine cardée, des chapelets de piments, des bourrées de palmes, d’invraisemblables loques multicolores. Ce que j’ai vu de plus nauséabond, c’est chez l’épouse divorcée de l’un des deux seuls Mo- zabites qui soient aux armées. Celui-ci ayant un flls en bas âge que le cadi a attribué à la mère, elle louche pour lui l’allocation de dix sous par jour. Une fortune. Misérable avorton suifard, chassieux, empaqueté dans un burnous crasseux, le capuchon ramené sur le crâne mangé de gourme, jamais il ne bouge de dessus un tas de chiffons, étant paralysé des membres inférieurs par suite d’un mal héréditaire que je ne nommerai point. Pourvu que ne meure pas avant la fin de la guerre cette poule aux oeufs d’or... Au bureau on a des raisons de croire qu il a déjà été remplacé. Maison ferme les yeux. Le régime du sabre est indulgent autant que sceptique. Un lambeau de tapis grossier,‘c’est le lit de la mère. Un atre sans cheminée, le moulin de pierre à broyer le grain, le keskès, une guerbaâ pour l’eau — l’outre en peau de bouc intérieurement galipotée et une pour l’huile, un vieux pot en cuivre bossué, voilà tout le ménage. Cette personne, répondant au nom guilleret de Chocha, n’en a pas moins le sourire. De moeurs d’ailleurs fort légères, me dit-on. A défaut de celui du champ de bataille, les Mzabites ont un courage plus difficile en vérité... Hospitalière aussi, elle m'offre le café. Frappée d’épouvante, je tire la religieuse par sa manche pour qu’elle m’emmène. Un peu moins immondes, voilà à peu près tous les logis mzabites du commun. Dans un autre, plus vaste, ce qui permet d’y emmagasiner davantage d’ordures, vision effroyable. La mère est folle. On la lient à la chaîne sur la terrasse, point maltraitée, les musulmans professant le respect de ceux dont Allah a obscurci l’esprit. Au demeurant est-elle inoffensive, mais c’est pour empêcher qu’elle aille chez les voisins. A peu près nue — horribile visu — car elle déchire les guenilles qu’on lui met, les cheveux rasés, hideuse, sa manie est de faire la prière à la façon des hommes. Tout le jour durant elle se livre au simulacre de ce pieux exercice, génuflexions, prosternations, marmotage indistinct. Puis elle se couche en rond, comme un chien, et elle dort. D’autres visites ne sont guère pour me réconforter. C’est dans les familles où il y a une « petite mariée » : douze ans, dix, voire sept. Et vivant effectivement avec leur mari, souvent très jeune — j’ai vu des couples ne comptant pas trente ans à eux deux — parfois barbon, comble de l’abjection. A la vérité, me disent les religieuses, n’ont-elles pas grand chose à apprendre. Errant dans Ghardaïa, si vous voulez éviter des offenses à votre pudeur, détournez vos yeux des passages voûtés, des culs-de-sac ténébreux où polissonnent filles et garçons. Pourquoi comparer ces gens à des bêtes? Les bêtes sont propres dans leurs moeurs, saines, obéissant aux lois de nature. Elles s’accouplent, reproduisent et ignorent le vice. Les nouvelles mariées se reconnaissent à un toupignard enguirlandé de clinquant qu elles portent pendant les premiers mois. La femme mzabite tresse une fois pour toutes, avec des cordelettes en laine de couleur, des fils de corail, d’aventurine, de verroterie, ses cheveux rougis au henné, que de fois à autre elle rafraîchit en les enduisant de beurre rance. Comme ses soeurs arabes elle a les ongles et les paumes passés à cette teinture, les tatouages bleus au front et aux pommettes, dès le maillot du noir d’antimoine autour des yeux. Elle y ajoute l’élégance locale d’une goutte de goudron gracieusement posée au bout du nez. La stupidité de ces créatures est invraisemblable. Diversion à l’ennui pesant de leur existence recluse et vide, les visites des « seuras » sont toujours bien accueillies. Qu est-ce donc quand elles amènent une « madame »?... De porte en porte nous sommes escortées par une bande de gamines effrontées et criardes, qui entrent avec nous. D’autres sortent des maisons et nous happent par nos vêtements. Rares les logis qui nous demeurent clos. J’en vois un pourtant dont le maîtrei jéune, faciès dur et buté, s’était adossé à l’huis, bras étendus, tel Valentine des Huguenots, pour nous interdire d’y toquer. 11 y a, exceptionnellement, de ces indigènes farouches. Au chtett de Laghouat, je m’en souviens, une femme, à mon passage, a fait rentrer sa progéniture, en me dardant des regards furieux et proférant des paroles apparemment dépour- vues d’aménité. Nous voici entrées. Un troupeau de femelles se pressent autour de nous. Elles me dévisagent comme si j’étais une chèvre à cinq pattes, me palpent, curiosité peut-être admirative, mais assez peu de mon goût. Je ne suis pas seule à éprouver de la répulsion pour ces contacts. La patience évangélique n’en défend point la supérieure et elle secoue avec quelque brusquerie ces pattes de singe s’accrochant à son voile, à son chapelet. Leurs étonnements, leurs questions sont d’enfants de cinq ans. La nature m’ayant voulue blonde, elles n’étaient pas bien sûres que je fusse de chair et d’os, car ce type est totalement inconnu des Mzabites. Un intérêt que je ne m’expliquais pas s’attachait à mes mains. La clé m’en fut donnée. J’étais, par cette chaleur, gantée de fil blanc. On s’apitoyait, me croyant malade — la lèpre alors?... Grand merci! Une d’elles, avertie par la fréquentation du dispensaire, suggéra que c’était des pansements.


27f 123
To see the actual publication please follow the link above