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aéré, dont la méticuleuse netteté couvenluelle fait une oasis au milieu de tant de fange et de crasse, comporte d’abord un dispensaire où quotidiennement une centaine de malades reçoivent des soins. Spectacle d’horreur quand les mères y amènent de malheureux petits êtres blêmes, scrofuleux, pourris par le mal honteux qui règne à l’état endémique, les yeux rongés de ces ophtalmies purulentes que rend si communes chez les indigènes la réverbération solaire sur la pierre et les sables, combinée avec l’absence de toute propreté et qu’un sang vicié aggrave. Sanies sur lesquelles l’habitude a blasé ces gens, qui néanmoins secouent un peu leur passivité pour accepter le soulagement offert. Ces dames tiennent aussi une école, où elles s’efforcent d enseigner un peu de français. Enfin elles dirigent un ouvroir pour le tissage des tapis. De toutes petites dévident la laine. Elles commencent en utilisant les déchets pour faire des couvertures à l’usage des bureaux de bienfaisance. Puis elles abordent les travaux plus compliqués. Le genre local est ras, à points noués, la couleur dominante caroubier. Elles copient aussi des modèles du Djebel-Amour, haute laine, dans de sobres et chaudes tonalités rouge et bleu foncés, ou bien de Tombouctou et encore de chez les Touareg, fond blanc à dessins indigo de style très pur, ou l’inverse avec de très légères notes cramoisies — et des dolchalis de Laghouat, souples et légères tentures blanches à motifs de nuances éclatantes. Cet art tout oriental avait, 011 le sait, élé introduit à Aubusson par des Sarrasins demeurés dans le pays, limite de la poussée musulmane en France, hors deux pointes dans les Dombes et 1 Auxerrois. L’outillage ainsi que les types ont été modifiés, et combien. Mais ici tout demeure immobile. Pour primitif qu il soit, le métier n’en donne pas un tissage moins serré et régulier, si ce n est que jamais une pièce n’est parfaitement d’équerre. Le progrès commence à se manifester fâcheusement avec les teintures chimiques. Les teintures végétales pourtant sont encore employées, moyennant une majoration de prix, étant beaucoup plus belles et durables’ Les traditionnels procédés sahariens sont les meilleurs. La laine est lavée au carbonate de potasse, qui dans le désert se trouve partout, dispensant les nomades d’acheter du savon, dont au surplus ne font-ils pas un usage abusif. Pour la mieux blanchir on la passe au plâtre ou bien dans une solution de chlorure de soude, dont sont chargées les eaux des chotts. Soigneusement cardée et filée, mélangée de poil de chèvre et de chameau la rendant soyeuse, elle est teinte avec de la garance et du pastel, qui croissent spontanément dans les montagnes. On obtient le rose avec le safran, 1 orangé avec le sumac, le jaune avec le réséda sauvage, la gaude de chez nous, lequel, pour donner du vert, se marie à l’indigo venu des Indes, celui-ci avec de la crème de tartre donnant du violet et le sulfate de fer avec de la noix de galle du noir — tous bains fixés avec de l’alun, aussi un produit du Sahara. Tons riches, veloutés, moelleux, souvent vifs, brutaux parfois, jamais communs. Le génie musulman est maître en l’art subtil de fondre et d’opposer les valeurs, à cause que s’est reportée sur le coloris son esthétique entravée du côté du dessin. Certes, cette industrie ici est loin d’émuler celle du Hedjaz, de la Perse. Rudes et barbares ses produits auprès de ceux du Kurdistan, type de perfection absolue, tissu ras — seul vraiment artistique — sur chaîne de soie, dont certains tons de particulière finesse: le bleu turquoise, le vert-de-gris, le rose de pêche, sont passés jusqu’à soixante fois au bain de teinture. Pour lés débarrasser de la poussière, ils sont mis à tremper quinze jours dans l’eau courante, d’où ils sortent plus frais et plus brillants. On en connaît qui, après trois cents ans d’usage, semblent à peine détachés du métier. Les tapis algériens, auprès d’eux, ne sont que camelote. Tels quels, ils humilient ces abominables moquettes criardes, vulgaires, honte de la civilisation européenne. Toujours les couleurs en sont soit éclatantes sans dureté, soit rabattues avec distinction, et modulées harmonieusement sans s’écarter d’une dominante dont la valeur picturale n’est pas moindre que la musicale. L’enfinl arabe est fort précoce. C’est merveille comme sont habiles déjà des fillettes de dix ans. J’en vois une, pas plus haute que ça, mélancolique et pâle, silencieuse, attentive à son modèle, jetant sa laine d’un geste souple et mesuré. Accroupi dans sa jupe, son tout petit frère grignote un quignon de pain, ne la perdant pas de vue, grave comme un marabout. Tout le jour durant ils restent ainsi. Elle est sa gardienne : il lui faut bien l’amener. Autant de pris sur le vagabondage par les rues, plaie de la vie populaire de ces races, aggravant la corruption engendrée par les promiscuités hideuses des intérieurs. Les religieuses tâchent d’y remédier au moyen de garderies. Mais que de peine pour triompher, par persuasion prudente, de l’ignorance, de l’abrutissement des mères, de leur méfiance, de la résistance des pères redoutant l’influence européenne. Au point de vue professionnel aussi leur effort se heurte à la coutume qui enferme les filles vers leur douzième année. Même chez les Laghouatis, d’intelligence ouverte, le préjugé les retire de l’atelier avant qu’elles soient capables de travailler sans direction. On voudrait bien... Mais que diraient les voisins?... Ces dames me mènent faire des visites. La fermeture des demeures est aussi compliquée que primitive leur distribution et leur ameublement sommaire. Les clés sont de véritables massues, fort efficaces au cours des rixes. Chacun circule gravement avec, pendu au cou, ce morceau de fer qui pèse une livre et mesure un pied de long. Dans le Tell le Mzabite se reconnaîtrait de l’Arabe à cela seul qu’il trotte comme rat empoisonné. Bon pour qui n’a point d’affaires l’élégance du nonchaloir. Mais au pays de ses pères, c’est le bon bourgeois en vacances, et l’embonpoint qui habituellement le caractérise s’accommode à merveille de la flâne. En outre il y a une clé en bois s’introduisant par un trou coudé, pratiqué dans la maçonnerie, pour soulever une barre au moyen do chevilles qui s’emboîtent dans ses encoches. Quant aux visiteurs, on ne leur ouvre qu’à bon escient, après qu’ayant frappé du plat de la main la lourde porte en rondins de palmiers, ils se sont nommés.


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