Pour clamer aujourd'hui son attachement, il se targue de s’être donné à la France. Façon de dire. Il eût préféré recueillir les avantages de sa vassalité sans en accepter la dépendance. A telles enseignes que, peu après le traité conclu avec le maréchal Itandon, Ghardaïa refusait le passage à la colonne Margueritte en marche vers le Sud. Insolence à laquelle on répondit en enfonçant les portes et entrant dans la ville tambours battant. Tel Panurge, le Mzabile craint naturellement les coups. Il se le tint pour dit. Aussi lorsqu’en 1882, aux fins d’annexion pure et simple, rendue nécessaire par de grands désordres, le général de la Tour d'Auvergne se présenta à la tête de 1.200 hommes, avec un convoi d’autant de chameaux, l’opération ne souffrit aucune difficulté. Des protestations de fidélité dont cette population nous accable on sait ce qu’il faut prendre. Son intérêt en est le meilleur garant. Faible groupe, d’occupations sédentaires, de tempérament pacifique, isolé au milieu de tribus hardies et rapaces, elle ne pouvait conserver d’existence propre. Si le drapeau qui flotte sur le bordj marque la perte de son indépendance, d’ailleurs précaire, par contre il lui est une sauvegarde plus efficace que celle, auparavant achetée à beaux deniers comptants et toujours douteuse, tantôt des Ouled-Sidi-Cheikh, tantôt des La&rba, selon l’humeur du moment et Kétat des relations de l’une ou l’autre de ces confédérations avec celle des Ghaâmba. Comme au temps d’Hamilear, ces hypothétiques débris dès Carthaginois avaient leurs mercenaires. Le marché en somme a été au profit des trafiquants qu’ils ont toujours été. Ce point de passage entre le Soudan et la Berbérie était un important centre d’échanges, les nomades apportant des laines tissées ou brutes, des cuirs, des dattes, du henné, de l’alun, de l’ivoire, des plumes d’autruche, des dépouilles de renard, de guépard, de chat sauvage, et recevant de la poudre et du plomb, des armes, des céréales, des colonnades, de l’épicerie et de la quincaillerie communes. En outre les Mzabites sont les banquiers usurairés de ces tribus toujours en mal d’espèces sonnantes, se remboursant en marchandises, spéculation éminemment fructueuse, enfin opérant l’agio sur les monnaies, notamment réchange du douro français contre la pièce de six réaux tunisiens valant dix-huit sous l’un. Cependant la principale source de richesse des marchés sahariens — j ’ai nommé le trafic delà chair humaine — s’est trouvée tarie. D’autre part cette région entre toutes déshéritée ne pouvant évidemment pas nourrir ses habitants, ceux-ci s’en vont commercer dans les ksour du désert et les villes du Tell, depuis l’humble « moutchou » jusqu’au notable négociant dont la boutique n’offre guère plus d’apparence. Qui connaît bien Alger a fréquenté, rue de la Lyre, chez certains Abdellah-ben-el-hadj-Salah. Seul dans son échoppe, il y débite nonchalamment, bien que fort cher, haïks et ceintures de soie, gilels soutachés, burnous de drap fin, babouches de maroquin et de velours brodés, couvertures bariolées, voire gandouras en calicot et indiennes à quinze sous le mètre. Important personnage occulte qu’on appelle plaisamment l’ambassadeur du Mzab. Car non seulement il dissimule derrière son comptoir de fort grosses affaires, mais il tient les fils de maintes intrigues. Peu soucieux de vendre, il vous offre le café et se plaît à la conversation en français fort correct. Loin de vous apprendre quoi que ce soit, toujours il tirera de vous quelque chose. Peut-être bien n’étais-je pas encore tout à fait décidée à aller dans son pays qu'il le savait et me donnait une lettre pour son cousin le caïd des Beni-Isguen. A rencontre de l’Israélite, le Mzabite ne pratique point l’axiome : « ubi bene, ibi patria ». Ce n’est pas seulement son coeur qu’il laisse en sa tant ingrate patrie, mais aussi sa famille, quitte à s’en créer une de rechange au pays où il gagne de l’argent. Rares les dérogations à la coutume. J’en ai vu une chez le caïd de Berriane. Lorsqu’il me reçut en sa vaste et claire maison aux décorations polychromes dans le goût tunisien, sa femme, par exception aussi, monta me saluer. Ainsi ai-je pu la complimenter sur ses gâteaux, notamment un quatre-quarts Irès réussi. Art qu’elle avait acquis à Tiaret, froide ville des fertiles plateaux du Sersou, où il a fait fortune et où elle a vécue douze ans avec lui, sans en savoir plus long d’ailleurs, n’étant jamais sortie de chez elle. Ce caïd est un esprit fort. Car en parlant de coutume, je dis mal : il s’agit bel et bien d’une prescription religieuse. Cette société si particulière est soumise à un régime théocratique. Légalement nous avons substitué l’autorité et la juridiction du caïd et du cadià celles du clergé. Dans les moeurs cependant elle demeure. Tolbas, irouanes, azzabas — beaucoup de titres pour peu de savoir - gouvernent despotiquement la vie privée. Les ibâhdi- tes sont les puritains de l’Islam et'leur conception des pouvoirs ecclésiastiques n’est pas sans analogie avec celle de Calvin, régentant de sa main de fer jusqu’à l’alcôve des citoyens de Genève. Armés du droit d’exclusion de la communauté, ces prêtres sont les rigides gardiens des traditions. Ils y ont un intérêt bien clair : la fusion de leurs ouailles avec les autres éléments musulmans serait l’anéantissement de leurs prérogatives. Aussi tiennent-ils mordicus à la réglé qui interdit aux femmes de sortir du pays. Le mari doit revenir au moins tous les deux ans pour faire un petit Mzabite, après quoi il retourne à son négoce et à son ménage infidele. Lorsqu’il revient définitivement manger.ses rentes au soleil — oh! quel soleil! — de la Chebka, il est dûment purifié et absous.--' Ces intérieurs sont jalousement clos. Ils se sont entrebâillés pour moi sous l’égide de la supérieure des soeurs missionnaires de Notre-Dame-d’Afrique : les Dames Blanches. Religieuses d’esprit très distingué, très ouvert aux choses du siècle, ici comme à Laghouat, comme à Biskra, tant par leur charité intelligente que par la pureté de vie qui impose à ces races enfoncées dans la sensualité grossière, elles inspirent non seulement le respect, mais une sorte d’affection. Et s’inlerdisant rigoureusement l’ombre même de prosélytisme, elles font aimer le nom chrétien. Que de fois, m’égarant dans le dédale morne, poudreux, de ruelles et d’impasses, je suis allée frapper à la petite porte’ surmontée d’une croix. Leur établissement vaste, blanc,
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