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l’habituelle lourdeur bestiale. De la distinction, de la finesse, l’ovale d’une pureté parfaite, une douceur charmante dans les yeux en amande dont le velours s’anime d’une clarté intérieure éclairant la pâleur chaude. Très parées, celle-ci en fraise écrasée et émeraude, celle-là efi citron et turquoise, elles font avec beaucoup d’aisance et de grâce les honneurs du thé. Presque toujours la femme arabe est sans joie. Ces jeunes filles, elles, sont marquées au sceau d’une mélancolie profonde. C’est que « Leur âme a son secret, leur vie a son mystère... » Elles .tenaient à m’en faire confidence. Seulement la présence de leur oncle les paralysait. Sur leur désir, je suis retournée les voir. N’étant pas annoncée cette fois, je les ai surprises en négligé : des flanelles de coton que nous ne tolérerions point à nos femmes de chambre, avec des bijoux, toujours, moins de bijoux, mais des bijoux. Leurs bijoux, c'est le sang de leurs veines. Il n’est lamentable pauvresse aux chevilles crasseuses de qui ne tintent les khalkhal et dont ne soient assujettis avec une bzaïm d’argent des chiffons bons pour la hotte. Crainte qu à ne nous voir jamais qu’un ou deux anneaux aux doigts nos soeurs arabes nous jugent déplo-' rablement « meskines », je leur dis que nous aussi possédons des bijoux, mais que notre usage est de les porter seulement aux occasions. Et c’est ici que l’auteur s’embarrasse. Faites-leur donc comprendre notre vie mondaine... Comment leur expliquer la nature de nos rapports sociaux avec l’autre sexe?... Leur décrire notre toilette du soir?... Elles en seraient renversées. Leur représenter un bal, à elles qui ne connaissent la chorégraphie que comme enseigne à la profession que vous savez ?... Et encore l’Ouled-Naïl danse-t-elle seule, tandis que nous... De grâce n’en concluez point à la supériorité de leur pudeur. Rappelez-vous.le mot de mon officier indigène et établissez la contre-partie de l’axiome : tout est pur pour les purs. Non... il faut y renoncer. Un mur entre nous, vous dis-je,, un mur. Ce mur, mes jeunes amies le sautent pour m’ouvrir leur coeur. Leur père était caïd dans le Djebel-Amour. Chambré par son frère les mauvaises langues disent grisé — il les fiança aux fils de celui-ci, encore en bas âge alors qu’elles étaient de petites filles. Devenues orphelines, elles acquièrent la liberté de disposer d’elles-mêmes. Leur oncle, qui en a la tutelle, les mène devant le cadi aux fins de ratifier ou d’annuler le choix paternel. Mais en chemin il leur déclare que si c’est non, au retour il leur tirera des coups de fusil. La question était tranchée. Seulement elles l’avaient trouvée amère. Dès qu’une occasion se présenta, elles se réfugièrent chez leur autre oncle, celui-ci. Et depuis, avec une fermeté de propos exceptionnelle en ces créatures amorphes, elles se refusent à en sortir. Cependant l’engagement tient bon. Pourquoi s’y dérobent-elles? Parce que leurs cousins appartiennent à une tribu nomade et qu’elles n ont pas le goût de la tente, même la grande. Aussi, convenez-en, les procédés du futur beau-père sont plutôt réfrigérants. Mohammed, lui, est un homme excellent: il ne demande qu’à garder ses nièces. Leur tante numéro un les aime à l’égal d’une mère. Néanmoins, situation fausse et précaire. Pour rompre il faut le consentement non des petits cousins, qui n’ont pas voix .au chapitre, mais de leur père, lequel n’en veut pas démordre. Elles sont riches: voilà le noeud de l’affaire. Demeurer dans le célibat?... Chose monstrueuse, inouïe, impossible. Au surplus ne se sbueient-elles nullement de braver les lois divines et humaines. Rien de plus légitime que le désir du mariage chez des femmes rigoureusement confinées dans la vie de l’intérieur — ne pas confondre avec la vie intérieure. Et en attendant elles passent fleur. Songez donc : vingt ans aux dattes. Elles voulaient me dire cela parce que « je connais les officiers » et le leur redirais. Les officiers, le « biouro », source de tout pouvoir. Mais non en l’espèce. J’en ai parlé pourtant au colonel commandant le territoire. Sur mon affirmation qu’elles sont très jolies, cet aimable vieux garçon a déclaré leur porter un vif intérêt. C’est tout ce qu’il peut faire pour elles. L’immixtion officieuse dans les affaires de famille n’est pourtant pas sans exemple. Témoin celui-ci. Parmi les femmes tombées entre nos mains avec la smala se trouvait la fille de Mohammed-el- Hadj-Kharroubi, premier khodja d’Abd-el-Kader. C’est un jeune agha de belle mine, notre allié, qui s’en était emparé. Ameur-ben-Ferhat aima, fut aimé et épousa, avec l’assentiment du duc d’Aumale. Le père voulut faire rompre l’union. C’était son droit. Il s’en fut réclamer auprès du maréchal Bugeaud, qui le chapitra, mais en vain. On le cuisina. Après de longues négociations, on s’arrêta à ce compromis. Beau-père récalcitrant et gendre obstiné'Comparurent devant une medjelès présidée par le mufti d’Alger. Ces docteurs déclarèrent le mariage nul. Ainsi sauvegardé le principe de la puissance paternelle, séance tenante le consentement fut donné et les époux conjoints à nouveau. Mais il s’agissait d’un rebelle, ayant à se faire pardonner. J’ai eu le tort de faire connaître à ces jeunes filles un épisode propre à éveiller en elle de fallacieux espoirs. Toutefois, aux dernières nouvelles que j’en ai eues, le bon oncle était entré en pourparlers avec le méchant. Celui-ci devient plus traitable, mais moyennant une indemnité de vingt mille douros. On hésite : c’est un denier. Les esprits chagrins qui, pour mieux dénigrer notre civilisation, loin certes d’être satisfaisante, exaltent les peuples attardés dans des formules plus simples n’ont pas beau jeu quand il s’agit de la cupidité. Dans l’Islande d’antan, je me le suis laissé dire, la monaie d’échange, bien encombrante et malodorante, était le hareng. Pour se procurer des harengs on faisait assurément autant de vilaines choses que nous pour des billets bleus. Passion humaine, sous quelque forme que ce soit. Chez l’Arabe, en dépit de la noble allure qu’il doit au burnous, elle est dominante. « On aime », dit-il, « le maître de l’or même s’il est chien fils de chien » — kelb-ben-kelb, la pire injure, et pourquoi donc?


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