trophées d’armes, très belles, des marabouts défunts qui ornent un salon à Kourdane, parmi lesquelles le long fusil à pierre, incrusté de corail, de turquoise et de nacre, avec lequel Mohammed- Seghir — « le Petit », son frère était Kebir « le Grand » — coupa les rênes du cheval d’Abd-el- Kader imprudemment rapproché du corps de place. Mais elle a été mise là; elle y est demeurée. La maison natale du saint ancêtre est conservée intacte, bloc rébarbatif, dénué de tout caractère. Ses descendants habitent diverses demeures tout aussi inintéressantes. Chez lequel ai-je déjeûné? — si l’on peut qualifier ainsi ce repas aussi terriblement dînatoire. « Les Français seuls savent composer un livre et manger avec méthode ». Peut-être celte assertion de l’auteur du Génie du Christianisme est-elle trop généralisée, mais bien applicable au génie arabe, tant littéraire que gastronomique. La diffa invariable me fut offerte dans un logis tout neuf, devant d’être propre à la fraîcheur immédiate de ses peintures bleu tendre. J’y ai été douloureusement affectée par une suspension de la rue Saint-Denis, des chaises en bois courbé de Vienne et des tapis d’Avignon, sur lesquels a été servi le méchoui. Le caïd avait été invité, vieux bonhomme édenté, la mine humble et pauvre, tout à fait abruti par la présence d’une roumia de distinction. Il ne recouvra ses esprits que devant son assielte. Oh! la sobriété des Arabes... Si seulement il n’avait été mis aussi mal à l’aise par l’obligation qu’il s’imposait de se servir d’une fourchette... Chez mes divers hôtes je demande, comme cela se doit, à voir « la famille ». On y compte, et partout ces dames sont en atours de gala. C’est vraiment pour humilier la mesquinerie d’un tailleur de voyage. Que doivent-elles penser de nous, dans leurs soieries somptueuses, coiffées d’une tiare en orfèvrerie émaillée, ruisselantes de lourdes chaînes, de bracelets massifs? Elles affectionnent particulièrement les colliers de sequins, qui aujourd’hui sont des louis, avec au centre une pièce de cent francs. Dans la maison de Sidi-Mahmoud. ma première visite est pour sa mère. Enorme masse adipeuse empaquetée d’un haïk écarlate. Je la trouve effondrée sur des coussins dans une de ces petites pièces sombres, ne recevant de jour que par la porte, qui rayonnent autour d’une cour en façon de puits. A mon entrée elle se lève avec peine. Mon essa- lam halik répond à son « bonjôr ». Poignée de mains. Pour montrer que j’ai de l’usage, je baise mon index. On m’offre une chaise, décrochée du mur. Elle se laisse choir pesamment. Nous nous dévisageons avec une gravité polie. Une négresse apporte le thé et des dattes. Ma troisième ou quatrième tasse aujourd’hui -§|du thé vert. Cela nous occupe. Des enfants morveux, des servantes fort sales se pressent curieusement et familièrement devant la porté. Un petit bicot encapuchonné, très comique dans son importance, me déclare qu’il est allé à l’école française. « Ça que tu lui diras, moi je lui dirai ». Ce que je lui ai dit ni ce qu’elle m’a répondu ne mérite d’être transmis à la postérité. Elle en a vite assez. Moi de même. Elle se relève en gémissant. Je me lève. L’interprète m’explique qu’elle va me conduire chez les épouses de son fils. « Très beau, tu verras, même chose comme chez les Français ». Soufflant d’ahan, la respectable dame se hisse devant moi par un escalier de moulin et m’introduit dans une chambre meublée d’un grand lit de cuivre anglais, où nul jamais ne couche, et d’une toilette genre Maple sur le marbre de laquelle s’alignent tous les petits instruments compliqués en argent et ivoire dont pas davantage oneques ne se sert-on. Une demi-douzaine de chaises sont disposées semi-circulai- rement. Dédaigneuse de ces raffinements occidentaux, la matrone s’écroule sur le tapis. « Bonjôr, madame » — « Essalam halikoum » — pluriel, car elles sont deux. L’une vraiment belle dans le genre sculptural : grande, à rencontre de la plupart des femmes arabes, un étrange type égyptien, des yeux de ruse et de cruauté luisants dans l’ivoire, teint de ces êtres claustrés, bleui au front par le tatouage, très magnifique en une chape de soie amarante et émeraude lissée d’or, par-dessus un fourreau citron, immobile, silencieuse, hautaine, elle semble une princesse pharaonique. L’autre, c’est « la Tunisienne ». On m’en avait prévenue, d’un ton admiratif, car elle en tire une distinction. Celte pièce dernier confort moderne est son chez elle. Vêtue à l’européenne hélas! si l’on peut ainsi dire, d’une robe empire en satin bleu paon que recouvre un long manteau de peluche simili loutre — au Sahara! — et coiffée d’un caloquet en velours noir pailleté, cela lui donne assez l’apparence d’une chanteuse de beuglant en costume de ville, dont elle n’est pas sans avoir la physionomie spéciale. Des femmes encore assises en rond autour de nous. Concubines, parentes pauvres, servantes favorites, je ne sais. Mais évidemment de rang inférieur, ne goûtant point aux rafraîchissements : dattes, café— ma quatrième ou cinquième tasse aujourd’hui. Entretien stéréotypé. Ici, ailleurs, partout, il ne diffère que dans l’ordre où se présentent les propos. « — Le pays te plaît? — Oh! oui : beau bled, bled m’Uli. — On est très content de te voir. — Et moi donc ! — Où est ton mari? — A la guerre. Ah! guerra, guerra... » Nous hochons tristement la tête. « — Est-ce qu’elle va durer encore longtemps? — Dieu seul le sait. Il est grand. Allah akbar! -Jl|Tu as des enfants? — Macache mutcliacho ». Notons au passage cette infiltration espagnole, venue avec « moukère. » — C’est malheureux. — Très. — Et ta mère?... Et ton père?... » Le fait que le mien était général me confère un prestige, « — Tu te plais à El Arhouat?... » (Orthographe plus exactement phonétique que celle adoptée). « Oh!... — Tu viens de DjezaïrV... C’est beau? — Ah!... — Tu as vu Sidi gouvernôr?... Il va bien?... Tu lui diras que nous aimons la France, (Du ton pénétré qu’impose une situation vaguement officielle :) Je le sais. Je sais que les Tedjanîya (variante : les Larbâa, les Beni-Chose, les Ouled-Machin) sont fidèles et dévoués. C’est pourquoi je viens chez eux. — Tu es la bienvenue. Tu reviendras? — IncK allahl ^4- On te souhaite beaucoup de bonheur. — Moi pareillement : bonheur bessèfe... » Je me sens idiote. Avis sans doute partagé. Pour prendre congé je profite d’un des silences solennels qui ponctuent cet échange d’idées. Geignante, la grosse maraboute se remet sur ses pieds qu’on dirait atteints d’éléphanliasis. Ses brus lui emboîtent le pas à ma suite, puis le trou
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