élait son objectif— son utopie si vous voulez. Il prit le meilleur moyen de gagner leur confiance. « Omar-ben-Rouch », put éviter l’abjuration solennelle. Mais il avait consciencieusement pioché le Coran et pratiquait en stricte exactitude. « Ces murs mêmes, Seigneur, peuvent avoir des yeux. » On n’est nullement en sûreté au désert, n’y étant pas aussi seul que cela semble et pouvant être repéré à grande distance. Aussi ne fut-il jamais pris en défaut. Cependant en priant avec les gestes musulmans, dans son coeur il invoquait le Dieu des chrétiens. Quel front d’airain ne lui a-t-il pas fallu pour, plusieurs années durant, même vis-à-vis des siens, qui s’en affligeaient, porter ce masque. Quand il l’eut rejeté, sa conscience réprouva cette apparente apostasie. A Rome, il commença d’autres études théologiques aux fins de se faire jésuite. Nouveau sujet de chagrin pour sa famille. Le maréchal Bugeaud tenait à ses services; il l’en empêcha en le rappelant à son poste sous peine d’être porté déserteur. Le P. de Villefort, qui l’instruisait, diagnostiquant une vocation sans solidité, lui écrivit : « On arrive à Dieu par bien des voies différentes, pourvu qu’on observe ses commandements. Or il nous ordonne d’honorer notre père et notre mère et d’obéir à nos chefs. » Ainsi Léon Roche put-il devenir l’Eminence grise du gouvernement général et poursuivre une longue carrière pleine d’honneur plus encore que d’honneurs. Alors qu’Abd-el-Kader n’avait pas encore déployé l’étendard vert, le faux néophyte s’était attaché à sa personne. L’émir était séduisant. Même passe-t-il pour avoir possédé certain pouvoir magnétique. Il avait emmené son jeune ami au siège d’Aïn-Madhi, dans ce camp dont la place est marquée d’une kouba. Lorsqu’il fallut se séparer de l’ennemi déclaré de la France, en lui avouant la supercherie, ce fut une scène plutôt chaude. Courroux légitime en somme, et ce chef avisé entretenait un bourreau en permanence. Désarmé toutefois par le courage qui, dans des parties aussi risquées, est le meilleur atout, il se contenta de vouer ce « joueur de religion » au châtiment d’Allah (le Rélributeur, le Vengeur, Il est Unique!) Allah d’ailleurs (le Magnanime) en agit tout au rebours, faisant de l’ex-Omar un ministre plénipotentiaire et de l’émir un captif. Par la suite ils se réconcilièrent. Un épisode comique avait traversé cette partie de l’existence de Léon Roche qui fut à un cheveu de tourner au tragique. A son corps défendant Abd-el-Kader l’avait marié à la fille d’un de ses parents, caïd de Miliana. Jamais il ne la connut, au sens biblique ni à l’autre, le voile ne tombant que la nuit de noces qu’il avait esquivée. Ultérieurement il divorça dans les formes. Cette extraordinaire aventure n’avait pas été stérile. Ayant lié partie avec les Tedjanîya, Léon Roche obtint d’un de leurs plus doctes mokaddems certaine consultation canonique. Lors de son pèlerinage à la Mecque — avant lui n’y avaient pénétré de chrétiens qu’un Italien et un Anglais - | | i l la fit conürmer par le grand-chérif. Une seconde sanction lui fut donnée au Caire par une medjelès de quatre ulémas. Dépouillée des interminables commentaires qui l’enguirlandent abondance, redondances, défaut de liaison caractéristiques du génie arabe__ voici ce qu’en substance dit cette felloua. « Quand un peuple musulman dont la terre a été envahie par les inQdè|es a combattu de toutes ses forces et de tous ses moyens, quand il est certain que la poursuite de la guerre ne peut amener que misère, ruine et mort sans aucune chance de vaincre, tout en conservant l’espoir de secouer son joug avec l’aide d’Allah (t’Entendant et le Voyant, l’Apparent et le Caché), il peut accepter de vivre sous leur domination, à la condition expresse qu’il conserve le libre exercice de sa religion et que ses femmes et ses filles soient respectées. » Bien que laissant toute latitude pour la venue du Moul-el-Sahâ, « le Maître de l’heure», elle n’en a pas moins servi sans doute l’oeuvre de pacification. Ce syllogisme aussi, favorable à la nonchalance: la force est une des formes de la baraka-, les Roumis possèdent la force; le vrai croyant doit s’incliner devant ce qui vient d’Allah (le Fort, le Puissant, l’incommensurable, Il est Un, Louange à Lui!) Mekloub'. enfin, raison dernière de toutes choses. La différence essentielle entre le fatalisme musulman et la soumission chrétienne ne saurait être mieux établie que par la fière parole de notre héroïque pastoure. Qui donc, à la cour veule de Chinon, lui posait ce dilemne ironique: « Vous prétendez que Dieu veut sauver la France et vous demandez au roi des hommes d’armes. S’il le veut, il n’en a que faire. » A quoi, avec son sens positif de bonne Lorraine, épuré d’idéal, elle riposta: « Les hommes d’armes batailleront et Dieu leur donnera la victoire ». L’origine des ordres religieux musulmans est dans le a soufisme », c’est-à-dire la recherche de la pureté parfaite engendrant une intensité de vie spirituelle propre à mettre l’âme en rapports directs avec la divinité, l’homme faisant abstraction de son individualité pour se concentrer dans l’unité absolue d’Allah (Invisible, Intangible, sans couleurs, sans limites). Doctrine de même nature que le mysticisme chrétien, bouddhique, brahmanique, mais à laquelle le matérialisme musulman donne de fortes entorses. Il est une poésie maraboutique pour célébrer le thé qui, entre autres propriétés bienfaisantes, lui attribue celle « d’ouvrir la porte aux deux meilleurs désirs que Dieu ait donnés à l’homme : manger et aimer ». Suit un vers impossible à rapporter honnêtement. Cela se récite en façon de cantique. Ces ordres sont en somme des confréries. Les Senoussîya qui, pour s’établir en Tunisie, au désert lybique, dans la région du Tchad, ont abandonné le charmant vallon berbère de Mal zouna, n’ont jamais cessé de nous être hostiles. Les Rhamanïya nous marquent peu de sympathie. C’était leur grand-maître ce cheikh El-Heddad qui en 71 proclama la guerre sainte. S’étant rendu au général Saussier avec ces paroles non sans noblesse: « Je suis un cadavre entre
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