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battu et tué. Or cette tribu, c’était celle de l’émir, fils lui-même d’un marabout sans importance. Etre contre notre adversaire rapprocha de nous les Tedjanîya. L’année suivante cependant ils refusèrent l’entrée de leur ville à la colonne du général Marey-Monge qui parcourait ce bled pour recevoir les soumissions. On négocia à Tadjemout et on tomba d’accord pour ouvrir les portes à un escadron d’officiers, le lieutenant-colonel Saint-Arnaud en tête. Depuis ils se sont ralliés autant que des vaincus et des musulmans peuvent l’être à des chrétiens et à leurs maîtres. Par attachement à leurs marabouts, les Laghouatis, qui plus tard nous opposèrent une si vaillante résistance, avaient pris parti] contre Abd-el-Kader. Celui-ci jura que ceux qui tomberaient entre ses mains auraient les yeux crevés à coups d’éperons et seraient écorchés vifs pour faire des tambours avec leur peau. Il tint parole une fois au moins. Le « chevaleresque » émir, on le voit, avait ses heures. Il massacra 57 blessés de Sidi-Brahim que leurs camarades du glorieux 8e bataillon de chasseurs avaient emportés dans leur sortie désespérée. Après les avoir traînés à sa suite dans les gorges du Djebel-Amour, il en agit de même avec les 200 prisonniers du détachement du lieutenant Marin. Sorti du rang des zouaves, donc personnellement brave sans doute, ce triste officier ne possédait pas le sang-froid, l’énergie, l’inflexible sentiment de l’honneur et du devoir, nécessaires qualifications du chef. Surpris dans les ravins brûlants d’Aïn-Temouchent, il avait mis bas les armes. Epargné pour être échangé, il passa en conseil de guerre et fut condamné à mort. Le jugement ayant été cassé en révision, on lui fit la grâce de le laisser disparaître avec sa honte. Je n’ai pas fait le pèlerinage de Sidi-Brahim, là-bas, près de Nemours et de la frontière du Rif. Mais mes yeux se sont mouillés devant le monument élevé sur la place d’Armes d’Oran pour honorer ces héros. Et j’y ai été fort en colère contre Fromentin. Les Lettres de Jeunesse parlent en ces termes de la reddition d’Abd-el-Kader : « Le duc d’Aumale est allé le recevoir à Oran... » —L’émir s’étant livré au général Lamo- ricière fut conduit au prince à qui, avec beaucoup de dignité, il présenta sa dernière jument comme cheval de gada. — « Il y a longtemps que cela se mitonnait. On en a fait les honneurs au duc et la nouvelle doit arriver à Paris le jour même de l’ouverture des Chambres. Les charlatans!... Les gredins!... » Bizarre façon d’accueillir un succès national. Il était hypnotisé par le burnous. Jamais ces yeuxï d’artiste n’ont vu l’Arabe que dans ses draperies et ses altitudes. Auprès de ce bel émir pictural et théâtral, que pesaient tous ces pauvres hères de Français morts pour le combattre? Quand même, c’est excessif de qualifier « gredin »... mais qui donc au fait?... Les hommes politiques, j’espére — leur habituel revenant-bon. A moins que ce fût le vainqueur de la Smala... Ou encore le capitaine Dutertre, décapité sous les yeux de ses chasseurs, ce Régulus qui a eu le tort de n’être point Romain, mais simplement un brave de chez nous. Fromentin ajoute : « Le militaire est consterné comme s’il ne lui restait plus rien à faire. » « Le militaire » — terme méprisant qu’il affectionne. C’est positif que ces gens n’ont pas le sens commun. Voilà des occasions de se faire casser la tête qui s’évanouissent et cela les consterne... Mais n’exagérons rien. Je suis en mesure d’affirmer — de seconde main — que le sentiment provoqué dans l’armée d’Afrique par cet événement a été plus voisin du soulagement que de la consternation. « Ne me parlez pas », écrit-il encore, « d’un pays infesté par le militaire. » Cher maître, vous êtes un ingrat. Sans cette engeance, vous eussiez été l’auteur de Dominique, et c’est quelque chose, mais non peut-être un grand peintre, ce qui a son prix. Car à ce moment précis, c’est à l’autorité « du militaire » que vous avez dû d’être chaperonné par ce sheikh Ahmed-ben-Gana pour qui vous vous épanchez en dithyrambes. Et l’année suivante, tandis que, dans la paisible retraite de votre atelier, vous ficeliez vos études pour en faire des chefs-d'oeuvre, tandis que vous écriviez vos délicieux souvenirs, ce même commandant de Saint-Germain qui vous obligea était tué pour maintenir haut et ferme le drapeau sous les plis duquel vous avez pu faire vos caravanes, un peu plus aventureuses qu’aujourd’hui, mais, grâce « au militaire » pas plus périlleuses... pour vous. Que votre ombre en demande son opinion à celle de Regnard, qui visita Alger, mais comme esclave des Barbaresques. De cet officier dont je viens de parler il reste son nom au bordj de Biskra. C’est moins que n’a laissé Fromentin, mais ce n’est pas mal non plus. Et de l’effort obstiné, sanglant donné par ses pareils durant trois quarts de siècle est sorti notre domaine africain. Ce n’est pas à dédaigner, même mis en balance avec un certain nombre de maîtresses toiles et de deux ou trois pénétrants in-I8 jésus. Il est à regretter pour la mémoire d’un esprit aussi élevé, joint à un noble caractère, que ces passages n’aient pas été supprimés de sa correspondance. Aïn-Madhi, fiui suggéré cette parenthèse oiseuse, est historique à un autre titre encore. G est le berceau de la fettoua de Léon Roche. Histoire généralement moins connue qu’elle ne le mérite. La vie d’action et d’aventures conserve, car, voici une quinzaine d’années seulement, cet homme remarquable est mort nonagénaire. Venu jeune à Alger, puis entré dans le corps des interprètes militaires, il vécut trente-doux ans en Islam. Bel athlète blond, excellent cavalier, un peu cerveau brûlé, un peu hâbleur, doué d’une endurance et d’une opiniâtreté peu communes, brave au feu il fut un des dix-sept officiers de l’état-major du maréchal Clauzel qui chargèrent les Kabyles sur ce mot de leur chef: « Faites, messieurs, à ces pouilleux l’honneur de les cravacher » — il ne l’était pas moins hors du feu, et maintes fois joua sa tête. Il avait tout ce qu il faut pour plaire aux indigènes et les indigènes lui plaisaient. A telles enseignes qu’il embrassa l’islamisme. Entendons-nous. Pénétrer l’âme arabe pour la rapprocher de la nôtre 10


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