chapiteau s’épanouirait en panache. La lumière est tamisée par leur ombre légère. Fraîcheur et silence ; pas même un chant d’oiseau. C’est tout. Mais les jardins?... Les jardins sont derrière les clôtures. Combien précieux, on en peut préjuger par l’importance de leurs portes, massives et rébarbatives, plusieurs épaisseurs de planches superposées et entrecroisées, bardées de morceaux de fer-blanc. Tout auprès, il est vrai, souvent une brèche béante. On ne la répare guère, maison ne manque pas de donner un double tour de l’énorme clé. Cela demande moins de peine. Grâce à ces murs croulants le passant se peut rendre compte de ce qu’est un jardin arabe. D’abord faut-il exclure toute idée de fleurs, même celles, communes, qui égaient nos plus modestes potagers. La plupart n’excèdent pas un quart d’arpent. Rares ceux d’un arpent et encore appartiennent-ils parfois à plusieurs membres d’uno même famille. La propriété indigène est divisée à l'infini. On n’imagine pas quelles difficultés successorales naissent des partages entre les agnats paternels, les fils et les héritiers privilégiés : veuve, mère, aïeule, soeurs, filles et petites-filles. Cela arrive qu’un défunt laisse à celui-ci un 12/48% à celle-là un 8/48% 14/48* à cet autre. On va jusqu’à dés 164/864* départ, des 322/864*, des 161/864*... Considérez par ailleurs les indivisions melk, de la famille, arch, de la tribu, et voyez si est sinécure l’emploi de cadi... Ces petits enclos sont cultivés en plates-bandes assez soigneusement con- trebutées, afin qu’un lacis de filets d’eau arrose le pied des carottes et navets, courges, fèves, oignons, fel-fel — ces m in c e s piments rouges dont on incendie tous les mets — artichauts demi- sauvages et fort coriaces, appelés lcharechef. Un peu d’orge, toujours coupée en.vert comme fourrage. Puis au pied des palmiers, une demi-douzaine par jardin, souvent moins — l’oasis de Laghouat en compte trente mille — quelques orangers, beaucoup de figuiers, quantité d’abricotiers, pêchers, pruniers, grenadiers, amandiers. Fruits médiocres, par excès de chaleur, hors que les dattes, également de qualité inférieure, n’ont pas assez des 30’ que j’ai trouvés en janvier. Partout une treille s’accroche et les raisins sont excellents. Puis, comme le désordre arabe se retrouve toujours, ici un tas de pierrailles, là un éboulis de torchis, de vieux bidons vides, des lambeaux de nattes, des' chiffons gras. De très en très loin un indigène qui nonchalamment se livre à l’horticulture, ou bien qu’on croise poussant devant lui l’éternel bourricot et qui vous salue d’un « bonjôr » auquel — échange de courtoisies linguistiques — vous répondez en bafouillant la formule d’où nous avons tiré « salamalec ». Vous errez ainsi dos heures durant. Vous vous égarez, aboutissant à une impasse, revenant sur vos pas, tâchant de vous repérer sur un arbre mort, une branche dépassant un mur, n’y parvenant point, tournant sur voüs- même ainsi que dans la forêt de Brocéliande, séjour de la fée Viviane et dé l’enchanteur Mer-r lin. Et, il m’est impossible d’expliquer pourquoi; c’est délicieux. Mieux encore, lorsqu’à force de vous perdre, vous débouchez sur l’oued, dont une ample courbe enserre un côté de l’oasis. Ayant fini par savoir le chemin, que d'instants j’y ai passés, assise dans le sable, à l’ombre claire des roseaux et des tamaris. Paisible, le canal d’amenée faisant la corde de l’arc baigne les jardins, ici clos par des haies de djérids sèches. La tête dans le feu, les pieds dans l’eau, c’est l’idéal des palmiers. Ceux-ci en frissonnent de bonheur et la gerbe dorée de leur cime s’incline amoureusement sur la fraîcheur bénie. Arbre singulier. A distance, en masse, il donne un vert sombre, lourd et froid. De près, son feuillage doré est infiniment lumineux et l’élégance de ses lignes se dessine avec une délicatesse exquise. Aussi se présente-t-il à son avantage isolé ou en groupe de fûts d’inégale hauteur que sait ordonner l’impeccable justesse de la nature. De cotte eau une légère vapeur molle monte et enveloppe l’ardeur de la lumière, dans une transparence bleuâtre. Il y a là des finesses de tons et des rapports de valeurs dont un peintre pleurerait de joie: Ce site se compose entre des excroissances de roches calcinées, semblant d’onyx veiné de porphyre, et une haute dune dont scintille la poussière d’or. Par delà l’oued, dans un bouquet de lauriers-roses, une kouba dont la blancheur est celle de l’argent en fusion. Puis plus rien que le désert brûlé et dur, fuyant dans les lointains d’un bleu étrange, comme roussi de chaleur. La dérivation laisse au fond du lit immense un ruisseau suffisant pour que des négresses y lavent bfes lainages qu’on ne voit jamais propres. Elles ont apporté un réchaud de terre, une bourrée ipour chauffer l’eau dans un chaudron, savonnent, battent avec un fléau de cuir, rincent, tordent, mettent sécher, ce qui n’est pas long. Oripaux rouges, verts, orangé, violets, bleu vif font sur le sable un tapis bariolé. Quand c’est fini, ellfts s’ajustent autour des reins le lourd ballot, placent sur leur tête le matériel, sans oublier les brindilles qui peuvent rester du précieux combustible, puis elles s’en vont de leur allure balancée, bombant les seins, roulant des hanches. De tous les" gestes éternels, celui de la lavandière peut-être a le plus beau rythme. Ledit do l’oued-Jlezi est large au point qu’on dirait une plage. On se prendrait à y chercher des coquillages, pour n y trouver que mâchoires de moutons et vertèbres de chameaux. Des enfants — cela complète l’analogie --jouent, se gourment, font la culbute, au grand dam de la décence, les culotles ôtant souvent absentes sous la gandoura, tandis que les filles, pour barboter, se troussent jusqu’à la ceinture. De jeunes garçons, montés en couverte et bridon, galopent furieusement des poulains, le burnous gonflé par la-course. Du fond du bled arrivent des files d’ânes, leurs oreilles seules pointant hors de la charge de r' lem, heureusement plus volumineux que lourd. Comme si ce n’était pas assez, au passage du gué, pour ne pas se mouiller, leur conducteur se juche par-dessus le tout. On le battrait. Des chameaux, à présent, lents et las. Le visage brûlé et fermé de leur sokhar est terni par la fatigue des longues marches altérées. Cependant ses pieds nus dans les grossiers brodequins jaunes de forme byzantine épousent avec force le sol. L’apathie de l’Arabe n’a d’égale que son endurance. Ils viennent de ces profon
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