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a au fond de ces pauvres âmes obscures. L’Arabe prend si peu souci de son humble serviteur que souvent il le laisse chargé jusqu’à ce que tout soit vendu. Lorsqu’enfin Aliboron n’a plus sur le dos que le bât rembourré de chiffons, il se roule dans la poussière avec autant de délices que si c’était herbe fraîche, puis s’allonge en plein soleil, et, mangé de mouches, il somnole en attendant de reprendre le collier de misère. Ici ce sont des moutons apeurés, réunis en lot par les cornes au moyen d’un lien d’alfa; là des chèvres espiègles qui subrepticement broutent les fanes des carottes. Sur le sol brûlé, le blé, l’orge en petits meulons. Des blocs gluants et suintants, couverts de guêpes: conglomérats de mauvaises daltes, qu’on débite au couteau. De menus tas de légumes, d’oranges, de glands doux grillés, de fèves bouillies, de pois chiches. Des bottes d'orge en vert, guère plus grosses que si elles étaient d’asperges, et vendues avec aulant de cérémonie. Plus précieux encore les fagotins de r’iem, ce combustible du Sahara dont les tiges et racines ligneuses, sèches de naissance, brûlent, non sans fumée, pour les besoins culinaires. II y a aussi des étalages de vieilles bottes percées, de babouches éculées, de burnous usagés, de couvertures de rencontre, de chéchias d’occasion — horreur! — et des poteries égueulées, et des ustensiles délabrés, vagues lambeaux, déchets indéterminés, objets incertains, tous les rebuts de Tell. Marché aux puces exhalant des relents de crasse, de sueur, de suint, de vieux cuir, de friture à l’huile, que traversent — d’où émanent-elles? — des bouffées de safran et de benjoin. Des corroyeurs raclent les toisons grasses, des savetiers rapiècent des chaussures avachies ; ici on tresse des cordes de laine, la on répare des selles fatiguées. Un barbier en plein vent tond les crânes et rafraîchit les barbes. Les kaouadjis servent leurs minuscules tasses de café boueux, brûlant et trop sucré. Des chions efflanqués se disputent d’innommables débris. Un aveugle en invraisemblables guenilles, un estropié tout retourné sur lui-même, les membres en vrille, la tête à rebours sur le cou, égrènent avec leur chapelet une plainte aigüe et lamentable que ponctue le nom cent fois répété d’Allah (le Très glorieux, l’immense et le Certain). Grouillement sans agitation, sans tapage, qui à l’absence de toute excitation alcoolique doit une sorte de dignité. Mais que de poussière... Pulvérulences rouges de cette argile recuite piétinée par les bêtes, jaunes des sables apportés par le vent du désert. Pour la fuir il y a l’oasis qui fait à la ville une ceinture verte. Une oasis, n’est-ce pas? c’est un bois de palmiers ombrageant des jardins et que voilà donc une définition séduisante. Nous voici cheminant dans un dédale de sentes étroites entre de très hautes murailles de boue grise au pied desquelles coule une séguia limpide. Ces rigoles d’irrigation distribuent l’eau avec exacte mesure. Pas une goutte perdue de celle qu’on peut capter. Question vitale en des régions que quasi jamais le ciel n’arrose, et par la elle a raison de l’incurie de la race. Les dattiers jaillissent haut dans l’atmosphère ardente, leur stipe architectural semblant une svelte colonne dont les ciselures seraient les écailles et \e


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