défendus avec une farouche énergie, le quartier des services militaires et administratifs a été assez ingénieusement construit dans la dépression entre les escarpements jumelés. Maisons basses à arcades, badigeonnées d’ocre rouge et jaune, ne faisant pas trop mauvaise figure. Lesdeux chtetls qui se massent étroitement sur les pentes, c’est la ville arabe de type uniforme : ruelles escarpées, raboteuses entre des logis à terrasses, sans jours extérieurs, bâties en tôb, ces briques d'argile desséchée dont la couleur morne s’associe à l’ambiance de torpeur, de crasse, de pouillerie. Le monde indigène se retrouve sur la place Du Barail, ou bien au long de l’Avenue Mar"ueritte, large, poudreuse, calcinée, qui conduit au très imposant quartier de cavalerie. C’est là qu’on flâne, qu’on bavarde. « Dans la bouche fermée », dit la sagesse orientale, « la mouche n’entre pas ». Maxime insuffisamment méditée par les Arabes. Quoiqu’après tout, secrets et dissimulés comme ils sont, peut-être estiment-ils,(non sans raison, que parler beaucoup pour ne rien dire soit le meilleur moyen de déguiser sa pensée. Dans l’ombre des arcades entre lesquelles, aux ardeurs du jour, tombent des toiles grossières, sur des nattes sont affalés des paquets de linge sale. Indigènes jouant aux dominos, ou sommeillant, ou ne faisant rien, sinon caresser leurs pieds déchaussés. Contrairement à ce qu’on imagine, ils fument assez peu. Au seuil des petites épiceries, de boutiques aux menus trafics incertains, on fait parlotte. Vous voyez un caïd, ou un officier de tirailleurs, de spahis retraité, Légion d’Honneur sur son burnous, accroupi des heures de van »échoppe d’un marchand de tabac. Partout on boit du café. A peine avez-vous échangé quelques mots avec un Arabe, il vous y convie. Par égards pour vos habitudes, une chaise est apportée on ne sait d’où, d’où encore, on ne le sait pas davantage, le petit plateau de cuivre, faute de table au besoin posé à terre. Et vous voilà installés, en pleine rue. L’entretien est borné et languissant. Entre eux n’y trouvent-ils même pas toujours matière. En ce cas ils tournent dans le cercle des propos préliminaires. « Tu vas bien ? — Je vais bien. Et toi, tu vas bien ? — Je vais bien. Et chez toi, on va bien? (signifiant non pas « dans ta famille », sujet tabou entre musulmans, mais ton douar, ta tribu, ton quartier, ton commerce, tes troupeaux) — On va bien. » Après un instant de silence. « Alors ta santé est bonne? — Elle est bonne. Et la tienne, elle est bonne? — Elle est bonne aussi. Et chez toi? — Chez moi il n’y a que du bien, Allah soit glorifié! — Louange à Lui : il est Unique. » Pause. — « Et ton cheval... et ton poulain... et ta mule... » Ainsi de suite, jusqu’à épuisement non d’animaux domestiques, car ils recommenceraient, mais de forces vives. Les Arabes, nous le savons, sont polis oh! combien. Cérémonieux, ils s’entre- baisent la main, après quoi chacun baise la sienne. Plus sans façon, ils se la touchent simplement, mais en portant aussitôt son index à ses lèvres. Pour peu, pour très peu qu’ils se connaissent davantage, ils sont extrêmement démonstratifs. Se précipitant dans les bras l’un de l’autre, ils s’accolent, ils se baisent sur la tète et se rebaisent, avec des transports frénétiques. On dirait d’un père et d’un fils après des années de séparation. Manifestations graduées selon les rangs respectifs. Tous les musulmans sont égaux... devant Dieu —• c’est entendu. Nous pareillement. 11 n’y a chez eux comtes ni marquis. On est Un-Tel fils d’Un-Tel. Aucune distinction que le litre el-hadj, soit personnel, soit hérité du père ou de l’aïeul qui est allé à la Mecque. Quand même, tout à l’heure je partais dans l’automobile de l’agha des Larbâa. Autour de la voiture se pressaient ses clients, ses zmoul — hommes de zmala — et c’est l’épaule que lui baisaient ceux-ci, ceux-là le pan de son burnous. A cheval, c’eût été, pour certains, son étrier. Et quels éclats d’affection, de respect, d’attachement... En résumé, le « grave » Arabe s’extériorise avec beaucoup de passion. Ces foules sont fort bariolées. Le blanc en est la dominante, à cause du chècho enveloppant la tête et les épaules, serré autour du front par la brima, — la corde en poil dé chameau -9 d e la gandoura, parfois légèrement rayée de noir, du burnous souvent. Mais souvent aussi il en est de couleurs vives, dont certains sont d’uniforme : l’éearlate galonné d’or des caïds — celui d’apparat, qui leur confère l’investiture — le garance des spahis, le bleu clair des mokhazni, le bleu et le vert foncés des gendarmes ét des forestiers indigènes. On en voit de bruns, en poil de chameau, qui sont fort beaux, d’azur, tourterelle, gris perle, parfois de noirs, de grenat rarement. Par-dessous ces draperies apparaissent les nuances vives ou tendres, et pas nécessairement assorties, du costume soulaché : bleu turquoise ou ardoise, vert émir ou pistache, gris souris ou mastic, capucine ou jonquille, saumon ou groseille, prune ou lilas, se mariant avec une fantaisie heureuse. Draps soyeux, de grande finesse — et quel métrage en exige l’ampleur de la culotte — abondance de passementerie, au gilet multiples grelots « faits à la main », soubises dorées à la veste, pompons de soie au capuchon, les bottes en maroquin rouge brodé d’argent... l’élégance arabe est à bon prix. Et, alors que, mesquins, nos hommes endossent, selon l’heure et la circonstance, des vêtements de qualités diverses, mais également vilains, ces gens fastueux, partout et toujours, du matin au soir, voire du soir au matin, traînent dans toutes les poussières et les crasses des atours dignes de parer notre féminine frivolité. C’est dire que, chez ceux dont le pécune n’est pas à hauteur de la magnificence, de lamentables désaccords se produisent entre les pièces de leur habillement. Même avec les babouches, facilement ils sacrifient les chaussettes. Puis le burnous est un très décoratif cache-misère. J’en vois un, du plus rutilant incarnadin, recouvrant des loques de calicot sale, sans que nul y trouvât matière à rire. L’Arabe au surplus ne se déride guère. Apparence de sérieux à laquelle encore nous nous leurrons. Et par là ces animations sont dépourvues de gaîté. L’absencô de l’élément féminin est frappante. Car ce n’est pas ici les libres allures de la moukère algéroise. Quelques ballots informes passent, strictement enveloppés dans le haïk indigo qui croise sur le visage, ménageant tout juste l’interstice suffisant pour un oeil, un seul. Par
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