tude. Nulle mentalité ne saurait résister au défaut de vie intellectuelle. Ou bien c’est un masque auquel naïvement nous nous laissons prendre, mais qui tombe dès que les agite une de leurs surexcitations d’êtres impulsifs et mobiles à l’excès. Les yeux miroir de l’âme?... Grands, d’un noir d’enfer que traversent des lueurs d’or, les leurs témoigneraient d’une vie intérieure combien intense. Observez les mieux. Ce noir est mat, sans profondeur. Ces flambées, c’est à propos de rien : colère puérile, joie futile, chagrin à fleur de peau, ou bien convoitise d’une âpreté extrême. Rien de plus. La dignité du port, le geste mesuré, la démarche lente?... Autant d’altitudes, que favorise la noblesse sculpturale des draperies. Nul n’est moins maître de soi que l’Arabe. Il le paraît parce qu’il est patient Mais sa patience résulte de son indolence. « 0 impatient, pourquoi te presses-tu? Rien ne se fait que par l’ordre de Dieu ». Dicton qui ne vaudrait quand il s’agit de prendre un train, ce que, nous le savons, aiment fort ces apathiques. Pourtant ils ne le manquent pas plus que vous et moi, attendu que, parfaitement oisifs, ils sont de loisir pour se rendre à la gare sans une hâte de mauvais goût. Ce parallèle qu’on se plaît à établir entre le chrétien qui s’agite, sans que toujours Dieu le mène, et le musulman, calme entre les mains d’Allah, tourne aisément en faveur de celui-ci. C’est lui faire la partie trop belle. Les gestes de l’activité sont souvent dépourvus d’élégance et une personne affairée semble ridicule à qui demeure dans l’aisance du nonchaloir. En conclure à la supériorité de l’inertie sur l’action, ce que font les orientalistes systématiques, est un paradoxe excessif, qui d’ailleurs a beaucoup servi. Mais si la nervosité de l’Arabe ne s’extériorise pas autant que la nôtre, en revanche elle provoque de brusques et fréquentes ruptures d’équilibre. Clé de l’incohérence de son caractère s’appariant avec celle de son climat. L’assimilation de la race est-elle une chimère? Qu’en pensez-vous, avec autant de divergences? Notre caractère est fait d’ordre, d’exactitude, de méthode; le sien tout confusion, imprécision, incurie. L’ordonnance, la cohésion, la régularité, chez nous poussées à l’excès, lui sont antipathiques. Notre architecture sociale, comme l’autre, repose sur la subordination, peut-être outrée aussi, de la partie au tout; de même que les édifices musulmans valent par le détail, leurs sociétés sont indéfiniment particularistes. Le principe de la famille arabe est tout le rebours du nôtre. Les conceptions morales ne sont pas moins différentes. L’Arabe a des générosités non sans grâce et grandeur. C’est selon comme il est luné, aussi extrême dans le sens contraire. Mais il tient le pardon pour lâcheté et que ce n’en est point une de vous poignarder dans le dos. Charitable, comme le prescrit le ¡Prophète, la libéralité ne constitue pas seule à ses yeux un mérite, mais la prodigalité. Afin d’y mieux pourvoir, il ne se fait nul scrupule de corriger la fortune par l’improbité. Ingénieusement il établit entre le « bien de justice », fruit du travail ou de l’héritage, et le « bien d’injustice », produit de la rapine, un distinguo à l’avantage de ce dernier, qui témoigne d’une virilité supérieure. « Tout comme la vertu le vice a ses degrés... » Le nomade pratique trois sortes de razzias : la teK ha, licite entre toutes, ayant pour mobile la vengeance, la khratefa, pillage de jour, mieux porté que le terbig, pillage de nuit. Quant au vol pur et simple, k1\riana, il jouit d’une considération mitigée par le fait d’être mesquin. Bon pour les gens de peu, pour les pauvres — que précisément sa langue appelle meskine.. Mystères de la philologie !... Parlerai-je delà concussion des chefs indigènes? Sujet délicat. Si elle est ce que prétendent des esprits chagrins, empêtrés dans nos notions d’intégrité publique, ceux qui en font les frais n’en éprouvent que le regret de n’être pas du côté du manche. Toute autorité n’émane-t-elle point d’Allah (le Juste, le Vivant, l’Eternel), à qui le bon musulman dit : « Tu es le couteau, je suis la chair: tranches à ta volonté ». Une idiosyncrasie qui ne doit pas être omise, c’est le sens de l’hospitalité. J’en ai goûté de fastueuses, j’en ai connu de sommaires, selon les moyens de chacun, toujours plutôt au-dessus qu’au-dessous. Partout je l’ai trouvé prévenante et cordiale; du moins l’apparence y était, et c’est tout ce qu’on peut raisonnablement désirer. L’Arabe en outre est parfaitement poli, non seulement par ses formules fleuries, mais par le tact, la discrétion, l’obligeance, l’empressement sans importunité. Avec nous, celui des basses classes, en sachant n’être point obséquieux n’est jamais grossier. Il a de l’aisance, de la dignité, de la bonne grâce. Dans la caste de grande tente on trouve une élégante courtoisie. Dans toutes conditions il est ce que nous appelons « bien élevé », expression convenue quoiqu’impropre, car ce qu’elle implique'est affaire non de dressage, mais de distinction native. Tel j’ai vu l’indigène, tel je le montre. Et tel quel, on peut vivre côte à côte en bonne intelligence. Que demander de plus? Pourquoi rêver une impossible fusion? D’autant que nous voudrions le faire pareil à nous, ce qui n’a pas plus de raison en somme que nous faire pareils à lui. Or, il vous le dira : « la queue du lévrier ne se redressera point, quand même tu la mettrais vingt ans dans un moule ». Et pourquoi essayer ? Ce serait fort laid. f 9 Le fractionnement de la population en tribus — elles sont au nombre d’un millier — s’étend jusqu’aux villes. Celle-ci était faite de trois agglomérations, ennemies autant que les Atri- des. D’une butte rocheuse à l’autre les Ouled-Serghine et les Ahlaf s’entredéchiraient comme chats sauvages, avec l’alliance variable des Ouled-el-hadj-Aïssa, gent maraboutique retranchée sur un mamelon isolé. Depuis que nous leur avons apporté « la paix française », ils se bornent à se regarder en chiens de faïence. Après la sanglante prise d’assaut par Pélissier, les Laghouatis, unis contre nous, s’étant
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