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9 * $ Dans le Tell ce ne sont pas les burnous qui manquent. A Laghouat je fais connaissance avec les Arabes. Ils sont ici chez eux: quelque cinq mille contre trois à quatre centaines d’Européens, plus autant de juifs. Agents de police,^facteurs, allumeurs de réverbères, tout est musulman. Pas un marchand français. Pas même un pharmacien : vous prenez vos médicaments à l’hôpital militaire. Ville exclusivement militaire d’ailleurs, comme toutes celles des Territoires du Sud. Le chef d'annexf^-le « biouro » — détient toute autorité, même, dans certaine mesure, judiciaire. Il est maire de la commune : des communes couvrant la superficie des cinq départements de Bretagne. Il fait fonctions de juge de paix pour les affaires des Européens, celles des indigènes ressortissant du cadi. Régime que ceux-ci préfèrent de beaucoup à l’administration civile des communes mixtes, soit dit sans offenser des fonctionnaires remplis de mérite. Je n’aurais garde de soulever une question épineuse entre toutes et me borne à noter l’opinion des intéressés. J’ajoute que les administrateurs civils ne dédaignent point d’emprunter aux militaires beaucoup de leurs allures et de leurs procédés. L’âme arabe est-elle aussi mystérieuse que d’aucuns le prétendent? J’incline à penser qu’on y soupçonne quantité de choses qui n’y sont pas. Vision superficielle, voulue un peu par la tendance naturelle au voyageur de découvrir l’extraordinaire. En outre, tout ce qui tient à l’Orient est tellement pictural qu’on s’efforce, par une psychologie complexe, d’appareiller le subjectif avec l’objectif. C’est, je crois, se donner plus de peine que cela ne vaut. L’Arabe me semble assez pénétrable en somme. Si souvent on s’y trompe, c’est qu’il est, même inconsciemment, trompeur par essence. 11 l’est dans la relation du physique avec le moral. Tout de sa structure annonce la force : pommettes accentuées, maxillaires solides, front massif, cadre de l’oeil profond, lignes robustes autant qu’harmonieuses. Apparence dissimulant une mollesse qui, poliment, se dit nonchalance. Il ne connaît pas cette énergie foncière faite de persévérance et d’endurance ; la sienne est intermittente, désordonnée, sans suite. L’application, la persistance de l’effort lui sont inconnues. Joignez-y l’aversion pour le travail : vous avez de belle, bonne et incurable paresse. De l’intelligence certes; mais à l’état de ces terres qu’il appelle djelaf, « mortes » faute d’être arrosées. Sa pénurie d’idées générales est surprenante. Il n’a souci de l’abstrait, et le concret prend chez lui forme d’intrigue, à quoi le rendent très apte sa finesse, sa souplesse, sa ruse aussi, arme redoutable des faibles — les faibles que sont ces hommes batailleurs et braves, ce qui n’a rien à démêler avec la force de caractère. Et, tout contradiction, il sait être rusé jusqu’à la fourberie en conservant des ingénuités d’enfant. La gravité des Arabes... En a-t-on assez parlé, de leur gravité !... Elle est en effet dans leur physionomie, mais plutôt expression passive d’une somnolence allant volontiers jusqu’à l’hébé


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