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Le désert n’est pas non plus absolument solitaire. De très en très loin apparaît un consi- . dérable troupeau: brebis blanches, habillées d’une laine épaisse que justifie mal le climat, chèvres noires aux longues soies traînantes. Que mangent ces bêtes? Une herbe verte et tendre, à condition d’être broutée aussitôt qu’elle pointe hors de terre. Voilà pourquoi nri ne la voit jamais. Noblement déguenillés, les bergers portent un fusil en travers des épaules, ce qui leur donne figure romantique de brigands. Arme généralement désuète, à un canon, voire à tabatière, d’autant plus inoffensive actuellement que la vente de la poudre est rigoureusement interdite. Où peuvent bien aller ces indigènes parfois rencontrés, ne craignant pas d’être deux sur un malheureux mulet, ou bien qui, battant fortement le sol dur comme fer de la plante, qui ne l’est pas moins, de leurs larges pieds nus, poussent devant eux d’infortunés bourricots surchargés de ballols hétéroclites? Peut-être où je vais moi-même. Pour le nomade, la distance n’existe pas. Vision de l’Algérie militaire et pittoresque d’Horace Vernet, Delacroix, Fromentin : une troupe de goumiers licenciés, retour du front de Belgique, et regagnant leurs tentes. Le burnous bleu, blanc, brun, rouge les enveloppe sur la haute selle où ils sont comme vissés, genoux très relevés, le large étrier chaussé à fond par la botte souple en maroquin brodé. Les petits chevaux gris, dont la queue balaie le sol, pointent au bruit du moteur. L’un des cavaliers s’approche. Tout jeune lieutenant, la croix de guerre à la veste lchaki, Ferhat-Madhani est le petit- fils du bachagha Lakdar, mort depuis peu, chargé d’ans et d’honneurs. Son teint blanc sous le haie, le blond de sa moustache naissante, hérité de la majestueuse barbe rousse de l’aïeul, témoignent d’un atavisme berbère. Il me souhaite la bienvenue à l’entrée des parcours de ces tribus dont héréditairement les siens sont les chefs. Quand je me remels en marche, sa monture se cabre tout droit. Il lui rend la main. C’est vraiment chose belle, un cavalier arabe galopant dans le désert. Moins nerveux, les chameaux rencontrés no s’apeurent guère. Même nous considèrent- ils avec bienveillance, en balançant leur long cou sinueux, d’un air affable, entendu et stupide. Dans les tellis en laine marron rayée de blanc et de noir emboîtant leurs flancs creux, ils vont, lents et sûrs, sobres par nécessité, goinfres aux occasions — tels leurs maîtres — capables de rester trois ou quatre jours sans boire, l’hiver jusqu’à six ou sept, mais, aux puits abondants, pouvant d’une rasade absorber cinquante litres. Leur ventre est une outre qui se gonfle et se dégonfle à vue d’oeil. On s’émerveille de trouver au désert autant d’humains. De quoi vivent-ils? A la vérité n’en compte-t-on guère qu’un pour cent hectares. Quand on parle de l’immensité saharienne, il faut s’entendre. Certes le Sahara 63t immense, comme l’est la mer. Mais comme sur mer aussi, ce qu’en embrasse la vue est en somme assez peu considérable. On a l’impression de l’immensité par illusion, à cause que c’est vide et que rien no délimite l’horizon. Mais pour si peu que le terrain s’élève, il masque les lointains, ou s’il est déclive, ceux-ci s’effondrent — démonstration empirique, on le sait, de la convexité du globe. En outre, l’enveloppement lumineux abolissant toutes oppositions de valeurs, il en résulte de singulières observations optiques. D’abord dans l’appréciation des distances. On aperçoit un mamelon, on va le toucher de la main — une couple de lieues vous on sépare. Au rebours, 011 se retourne vers le puits, le bordj qu’à la minute on quitte — évanoui. D’autre part cette grande lumière, qui boit les couleurs, fausse aussi les proportions, et sans loi apparente. De loin cela arrive qu’une chèvre semble une mule. Par contre, ce troupeau qui pâture, des chèvres?... Ce sont des chameaux. Là-bas, un champ de pierres... A co qu’elles se déplacent vous reconnaissez des moulons. Au sommet d’une petite crête, cet arbre, dirait-on pas, si ce n’était invraisemblable, un chêne?... Ce n’est qu’un genêt épineux. Mais voilà des tentes en mouvement... Alors ce doit être des dromadaires. Oui : clignant des yeux dans le soleil, je vois leur silhouette cocasse se découper sur l’horizon. Non : regardant mieux, je distingue le brun-rouge à bandes orangé et noires des « maisons de laine ». Et je demeure perplexe. Eh bien ! c’est l’un et l’autre : une famille qui déménage. Façons de lentes ces bassour ajustés au bât des chameaux, cage sur laquelle sont jetés des feloudj faisant aux femmes un abri contre les regards. Les plus jeunes enfants sont avec elles, le3 aînés suivent à bourricot avec les hommes, maîtres à cheval, serviteurs à pied, dos chiens, des négresses, les troupeaux, d’autres chameaux portent les lentes, les nattes, les ustensiles, les provisions, lés coffres pleins de hardes. Ils se tiennent à l’écart de la route fréquentée. Dans les villes le musulman cache son intérieur, aux champs son gourbi, au désert son campement. Et cette cara- vano, c’est un campement qui marche. Aïn-.el-Ibel — « la Fontaine des Chameaux »... Je m’excuse d’écrire si souvent ce mot. Mais nous sommes dans leur domaine. Soit dit en passant, qui donc les a appelés « vaisseaux du désert » ?... Ne serait-ce pas Joseph Prudhomme?... Non: c’est Mahomet. Ici un changement de bougie me retient quelques instants. Des indigènes qui se trouvent au caravansérail s’assemblent autour de la voiture. Ce genre de véhicule les intéresse beaucoup : goût inné de ces nomades par essence — même ceux qui se sont fixés l’ont dans le sang — pour la rapidité de la locomotion. Les caïds riches, les marabouts se sont empressés de l’adopter. Si la couleur locale y perd, on y gagne une plus facile pénétration du Sahara. Les Arabes n’aiment pas moins la machina, qu’au début ils qualifiaient « chemin de feu », comme « bateaux à fumée » les vapeurs. Le nil admirari étant chez eux un principe de bonne éducation, ils ne « s’épatent » nullement de toutes nos inventions et très vite se les assimilent. Dans le plus petit bureau de poste vous en trouvez onvoyant des télégrammes pour no rien dire ou pendus au téléphone pour se souhai.


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