CHAPITRE V LAGÜOUAT Comme tout de la nature, le désert connaît ce frisson de la fine pointe du jour, son unique et bien bref passage de douceur. Pour se mettre en roule, c’est l’heure exquise. Dans l’opale du ciel se déploie une nappe d’améthyste pâle dont le ton va se décomposant en écharpes de ce bleu chimérique, de ce rose irréel, grâce froide des aurores. Tout d’un coup, mordant l’horizon bas, le soleil émerge — le soleil, maître et seigneur de ces grandes terres nues. Avec lui monte une tiédeur qui vous caresse et bientôt tout est baigné dans un flot d’or liquide. En quoi consiste la beauté du Sahara? Et d’abord, a-t-il une beauté? Il faudrait définir ce mot avec une impossible exactitude. Moins encore ose-t-on parler de son charme. Puisqu’il captive cependant, c’est qu'il a du charme et de la beauté. Charme hautain, fait de sa mystérieuse solitude, de son silence solennel, beauté sévère qui résidé dans la simplicité des lignes, l’ampleur des plans, le vide de l’espace. Cet attrait singulier, dénué de sensibilité qui y demeure rebelle. Mais comment le rendre concret? Le vocabulaire du peintre est illimité; si restreinte au contraire, la palette de l’écrivain. Alors que les tons se multiplient, se subtilisent, se volatilisent à l’infini, les mots sans cesse se répètent. Combien sèche et rigide, la plume, en regard du pinceau aux flexions si souples, dont une tendresse ou une vigueur suffit pour donner l'accent. Tout peut être peint. Mais comment décrire là où il n’y a rien? Rien que de la lumière. Lumière, dis-je, non couleur. Car le désert est moins coloré que nuancé. Le jaune est sa dominante, toute la gamme du jaune clair au roux ardent, avec des modulations d’ocre inclinant, sans l’atteindre, au rouge. D’autres tonalités assurément se manifestent, mais subordonnées à celle-là. Des rocailles sont rosâtres, vineuses, brique. Ici les efforescences salines ou magnésiennes que sue le sous-sol mettent des blancs ternes. Là les herbes sèches et rèches donnent des verts-de-gris. Ailleurs ce sont coulées comme do cendres. Si peu de relief que présente le terrain, des ombres jouent dans les trous, les plis, les crevasses, d’un mauve qui, vers le soir, s’intensifie en violet. N’importe : la grande lumière diffuse enveloppe tout d’un jaune vibrant plutôt que violent, dans lequel tout se fond. Le désert est une symphonie en jaune majeur. Paysage purement linéaire et lumineux. Guère d’accidents, peu de variété, à peine de mouvement, un ton d’ensemble absorbant les notes de détail. Et cette monotonie et celte uniformité, cette immobilité, celte monochromie engendrent quelque chose de très prenant. Que vous dirai je?... Il faut y être. Courant vers le Sud, l’âpreté de la nature s’accentue. Plus d’alfa — ces « herbages » aussi précieux ici que chez nous ceux du Cotentin. Saugrenue semble Pétymologie donnée par Soleil- let du nom de ce pays : sahel, plaine, râ, pâturage. Question d’espèce. Les vaches ne vivraient pas ici, mais qui sait si les chameaux s’acclimateraient dans la vallée d’Auge? Ne croyez pas d’ailleurs cette terre tout à fait dénuée. Il y a une flore désertique. Aux yeux avertis même est- elle très variée, quoique sans abondance. Là où le profane ne voit que de vagues choses évidemment végétales, grisâtres, altérées, desséchées, hérissées, hargneuses, l’indigène distingue le remelz du regâm et du reguig. Le hallab n’est pas du demâad ni du adhid; ne prenez point du zeita pour du dhoura et gardez-vous de confondre le neci avec l’arfedj ou le dhammeran avec le chebry. Il faut être bien ignorant pour ne pas reconnaître le chVch (artemisia alba odoratis- simà), variété d’absinthe sauvage, d’avec cette autre, l’armoise, dont m’échappe le nom arabe, sans jamais en avoir su le nom latin. Même je puis vous dire que sur l’une d’elles — laquelle? ■r— certain insecte dépose des cocons utilisés par des nomades en guise d’amadou, tandis que l’autre leur fournit un détestable succédané du tabac. Il y a encore le gh’la f (atriplex hali- mus) qui me paraît être une sorte de pourpier je me trompe certainement -fgfet le r’iem, semblant une manière de thym, à moins que ce soit le contraire. Tout cela constitue des pâturages — c’est comme j’ai l’honneur de vous le direS- entre lesquels les initiés font autant de différence que nous entre trèfle et luzerne, vesce, gesse ou sainfoin. Les botanistes aussi, cela est admirable, s’y reconnaissent et les déterminent. Etes-vous curieux d’apprendre que le drinn dont, en temps do famine, les graines à la rigueur remplacent l’orge — c’est Varlhralherum pungens, et ampelo desmus tenax ce diss dont on tresse des cordes et recouvre les gourbis?... Ou encore qu’a nom gracieux parmelia esculenta ce lichen réputé comestible qui s’étend, tel une lèpre, au pied de certaines herbes ?... On me l’a dit, je le redis; mais je n’y tiens pas. Voulez-vous des fleurs? Le choix est plus limité. En grattant le sable toutefois, vous trouverez de petites touffes de cette étrange plante semblant pétrifiée, la rose de Jéricho — pauvre Jéricho, triste rose — qui, mise dans l’eau, s’épanouit en minuscules corolles couleur de cendres.
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