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la terre lointaine s’unit à celui du ciel par un trait de flamme. Puis il monte, il se dilue en une onde verdissante qui éteint l’incendie d’en haut Tout pâlit dans un bref crépuscule et presque d’un coup s’évanouit. Devant nous une masse sombre que trouent quelques lumières. C’est Djelfa. Qui l’eût cru?... Toutes ces pentes insensibles m’ont hissée à près de 1.200 mètres. On est ici au coeur du massif des Ouled-Naïl, dont hier j’apercevais les cimes bleues. Il faut le savoir. Sur ce plateau aride, brûlé de soleil et balayé par les vents, au point où une manière de col constitue un noeud de routes stratégiques, cetle place d’armes a été créée, devenue le marché de la région, exclusivement pastorale. Dans une enceinte carrée, forme de castramétation primitive suffisante pour servir de réduit contre d’éventuels belligérants sans artillerie, deux larges rues aux maisons basses se croisent. Les indigènes -Hpresque la totalité des habitants — semblent dépaysés dans ce bourg d’aspect si peu arabe. Poudreuse, maussade, l’été un four, l’hiver, glaciale dès que souffle la tramontane, Djelfa n’a de « joyeux » que sa garnison. Encore est-ce par antiphrase..Pires que jamais, les «groupes spéciaux», en ce moment où la mobilisation les a grossis de tant de'chevaux de retour. Un de leurs officiers — commandement peu recherché comme bien on pense — me dit posséder dans sa compagnie un record : quarante-sept condamnations. Ni la rigueur’de la discipline ni l’interdiction de l’alcool — le vin demeure et aussi y a-t-il la complicité des mercantis — ne sauraient empêcher tous désordres. Le plus regrettable c’est que l’indigène, accoutumé aux tirailleurs, ses compatriotes, et aux zouaves, qui sont Algériens, së met à appeler « les soldats français » ces apaches en uniforme. Sans doute il les connaissait, mais en petit nombre, tandis que cet afflux de fâcheux réservistes et d’indésirables territoriaux, c’est pour lui donner une brillante, idée de Paris, dont la plupart proviennent, et dans son esprit, Paris c’est la France. Remis en main, les moins mauvais éléments sont envoyés aux armées. Quelques-uns le demandent. Par malheur ce sont en général d’incorrigibles pochards, que ch&que jour de prêt il faut mettre en prison. Il en est davantage qui, pour esquiver leur feuille de roule, tirent les plus ingénieuses carottes. CarE parlant leur langage — les tripes au soleil certes ne leur font pas peur, mais si c’est à propos d’un litre, d’une manille ou d’une gueuse. Quant à se faire trouer la peau pour la patrie, vous ne voudriez pas. Certains sont morts d’avoir absorbé une trop forte dose de laurier-rose destiné à se donner la fièvre. Comment se comportent ceux qui vont au feu? Les chefs à qui incombe la difficile mission de les y conduire, avec le surcroît de péril de recevoir une balle dans le dos, s’accordent à dire qu’en somme, l’éh- nemi devant, de bonnes mitrailleuses derrièré, entre tuer le diable et être tués par lui, ils pren- 6


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