Page 30

27f 123

à jambes robindaines et allume son papelito. C’est fou... Au premier cahot il sera précipité sur 10 sol et se rompra les os... Nul ne semble en prendre souci, pas plus lui que les autres. Sans hâte, mais avec beaucoup do désordre, force criailleries en sabir et d’assez gros jurons, le chargement so complète. Une petite heure de retard: cola ne compte’ pas. On va démarrer, quand JMessaoud s’aperçoit avoir oublié chez lui son fouet. Tandis que, nonchalamment, il s’en va le quérir, les soldats descendent boiro un verre. C’est le dernier : en territoire du Sud, où il n’y a pas d’électeurs, l’autorité militaire a pu inlerdir tout alcool. Nul ne s’impatiente. Le capuchon du burnous ramené sur la figure, résignéç, les musulmans dorment déjà. Enfin on part, Lo « négro » a enfilé une longue blouse bleue de roulier beauceron par-dessus sa culotte déchirée on]toile d’emballage verdâtre s’accordant mal avec le fastueux, quoiqu’assez sale, gilet vieux rose brodé de soie. La chéchia rejetée en arrière sur sa tignasse crépue, il rassemble les cinq mules étiques, et cahotant, grinçant, la lourde machine s’éloigne bon train à un trot désuni que panachent dos galops intempestifs. Jusqu’à Djelfa, où changeront de voiture ceux qui vont plus avant, ils en ont pour vingt- six heures. Au désert, une route, c’est une piste. Une piste, c’est une trace foulée par les caravanes et que jalonnent des carcasses de chameaux. Dans les parages fréquentés — relativement, bien entendu: c’est ici*le domaine du relatif— celle définition romantique, du moins quant à son second terme, a cessé d’être exacte. L’apparition des automobiles a nécessité la création d’une sorte de voie mixte. Pour l’établir, prétend mon chauffeur, qui est un humoriste, il suffit d’un balai. Vlan ! à droite, les pierres, vlan! à gauche, dessinant une bordure et voilà: roulez. Il y a du vrai. Aux points toutefois où le sous-sol récèle de l’humidité, des procédés moins sommaires s’imposent. L’empierrement est chose aisée, la matière première ne manquant pas. La main d’oeuvre non plus : indigènes payant leurs prestations, condamnés à des peines légères ou subissant la contrainte par corps. Tout paresseusement qu’ils s’exécutent, petit à petit on arrive. Rien ne presse. Celle que nous suivons n’a pas donné tant de peine : c’est l’ancienne plate-forme d’une voie ferrée dont jamais ne furent posés les rails. Pourquoi? Demandez à Allah (le Savant, l’Informé, le Maître de l’univers, Il est Un). On en construit une nouvelle que, tronçon par tronçon, les travaux languissants amèneron t jusqu’à Laghouat. Notre piste routière lui est sensiblement parallèle. On s’étonne qu’elle décrive des courbes. A quoi bon, dans celte étendue sans relief et où il n’y a lieu de se détourner pour desservir des localités inexistantes? Impertinente question.[ Pensez-vous que les ingénieurs aillent à la billebaude? Le désert, sachez-le, n’est point un plan uni sur lequel le ballon lancé de la lisière du Tell roulerait jusqu’au Congo. 11 procède“par longues ondulations s’enveloppant les unes dans les autres, que l’absence de repères rend insensibles à l’oeil. Le curieux de la chose c’est que, curviligne là où le terrain sem-1 ble une table de billard, aux endroits mouvementés lo tracé est rectiligne, en sorte qu’on s’y livre au jeu des montagnes russes. Les ponts-et-chaussées ont leurs raisons que la nôtre ne connaît pas. On n’en aurait <^pre si la vue n’était affligée par des disques indicateurs de virages et de cassis peu harmoniques avec l’ambiance désertique. Ici tout terme géographique prend une signification spéciale. Ainsi on nous dit que nous sommes dans la « vallée » du Chélif. Moi, je veux bien. De fait voilà, sabrant la plaine fauve, une tranchée profonde, comme taillée à la bêche, où, entre des berges à pic d’argile crevassée, aussi sèche qu’amadou dont elle a la couleur, luisante à la dire vernissée, un peu de boue est formée par une humidité qui parfois, oui vraiment, se manifeste en petites flaques ou menus filets. Il paraît que cela coule, puisque nous le remontons. Le Chélif, s’il vous plaît, est le plus grand « cours d’eau » algérien : quelque 700 kilomètres de route, autant que la Garonne. Seul de tous ceux qui, on ne sait trop où ni comment, prennent leur source dans les profondeurs sahariennes, obstiné à braver la soif, à lutter contre les sables, se perdant, se retrouvant, il parvient à la mer, destination naturelle des fleuves. Fleuve?... Ainsi parle la géographie. Je connais sa basse vallée où, non loin de son embouchure aux environs de Mostaganem, il fait quelque figure. Elle est remarquable par des températures torrides. Serait-ce que ces eaux sahariennes les ont charriées jusque dans le Tell plus clément? En réalité elle doit d’être une fournaise à son encaissement entre les pentes arides de l’Ouarensenis et le massif brûlé du Dahra, qui fait écran contre la brise marine. A Orléansville le mercure, l’été, oscille entre 40° et 50° à l’ombre. C’est seulement à son entrée dans le défilé de Bogharri que, grossi par l’adjonction du Nahr- Ouassel, descendu des plateaux du Sersou, le Chélif est promu à sa dignité hydrographique. Pour lui faire honneur on l’a chevauché d’un pont qui ne serait pas déplacé sur la Loire. Moins la rapidité et la profondeur, 1 eau qui passe sous ses arches donne en volume à peu près comme un petit gave pyrénéen. Jusque-là il s’intitule modestement Oued-on-Namous, <i le Ruisseau des Moustiques ». Autour de ses rives calcinées, un chaos de monticules couleur d’ocre, de formes bizarres, aussi parfaitement nus que si le feu du ciel avait ici anéanti quelque Sodome. L’horizon est barré par des hauteurs aux lignes heurtées, crochues. Qu’est donc devenue l'immensité aperçue du Balcon du Sud? Sans nous en douter, nous sommes descendus dans un bas-fond. Pas davantage ne nous rendons-nous compte que le terrain se relève. Et voilà que sous nos pneus se déroule le vide. Le vide, oui, car il n’y a rien. Rien?... Rien. Ces noms cependant sur la carte?... Encore une particularité de ta géographie désertique. Une localité, c’est un puits, qui souvent s’accoste d’un caravansérail. Et autour, rien, vous dis-je. Bougzoul, Aïn-Oussera, EI-Mcsrane... il y aura là pourtant des gares, déjà à demi construites. Que desserviront-elles? Le désert. Il y a donc quelque chose au désert et quelqu’un ? Mais oui. Seulement ce sont cho


27f 123
To see the actual publication please follow the link above