rait nourrir Irois fois sa population actuelle. Au revers méridional de l'Atlas Tellien s’étend la région mixte des plateaux et des steppes, avant-désert que l’Atlas Saharien sépare du désert proprement dit. Désert plus ou moins mitigé. Empiriquement, les Arabes distinguent entre le Sahara habité : Fidji, Kifa celui qui est habitable ctjl’inhabitable Falat. Ou encore disent-ils des parties où se trouvent les oasis : Bled-el-djerid « le pays des dattes ». Dans ces « Territoires du Sud » — leur dénomination ofGcielle — environ 450.000 humains trouvent leur subsistance. Densité d’une faiblesse saugrenue pour une superficie équivalente à celle de la France. Il n’y en a pas moins une existence et des moeurs sahariennes, des villes sahariennes, une population saharienne sédentaire et urbaine, si l’on ose ainsi dire, outre celle, pastorale, des nomades. Il y en a toujours eu. Procope, Hérodote en ont parlé. C’était les Gétules « peuple farouche et barbare », dit Sallusle, « qui ne connaissait pas le nom romain ». Le nom français a été plus heureux. Et jamais le S. P. Q. R. n’a pu inspirer plus de respect et de crainte que le « biouro », comme les indigènes désignent l’administration militaire qui seule a charge de ces régions non colonisées. Depuis le temps où j’apprenais à lire les cartes, passionnée déjà de l’inconnu, m’attirait le mystère de ces grands espaces à peu près blancs. On ne perd rien pour attendre, car me voici au seuil de cet étrange pays. Boghari, actuel terminus du chemin de fer à voie unique *, c’est la porte du désert de la province d’Alger. Dans un site abrupt, mais non sans cette beauté de la nature africaine, faite de lumière et de lignes, poudreuse agglomération de mercantis. Sous les arcades de la place, plantée de chétives verdures, sombres échoppes indigènes et juives. En son centre, des parterres d’aspect singulier. De fait sont-ils formés de tuiles fichées dans le sol, où elles dessinent des figures géométriques. Voilà qui est pour économiser l’arrosage en ce pays altéré à l’état chronique. Si on y regarde de très près toutefois, entre les trapèzes et les rhomboïdes On aperçoit quelques chrysanthèmes souffreteux. Sur une morne bâtisse est écrit « Hôtel-de-Ville ». Modeste, la façade opposée porte le mot plus adéquat « Mairie ».Vague auberge dont moins il sera parlé mieux cela lui vaudra. Je suis entrée dans la région des gîtes douteux, des nourritures infâmes. Mais qu’importent ces choses? Levons les yeux vers l’azur éblouissant. Entre des murailles délabrées, pourtant rébarbatives encore, cette masse rousse de maisons agglutinées comme les rayons d’une ruche, dont elles ont la couleur, épousant la forme triangulaire de 1 é- peron de roc où elle s’agrippe, c’est le Boghari indigène. L’effet est saisissant du premier vu de ces ksour sahariens, entrepôt, marché et forteresse, ainsi qu’il convient en des parages où qui n’est pasteur ou marchand est pillard — je veux dire l’a été, mais ne demanderait qu’à le rede- 1. Depuis il a été avancé d’une soixantaine de kilomètres. VERS LE DÉSERT 8* venir. Ville de plaisir aussi : la corruption des grands centres... Ne riez pas. Bien qu’à l’orée seulement du désert, quelque deux mille habitants, c’est beaucoup. Les nomades qui viennent ici échanger leur laine contre du blé y trouvent la population féminine dispensatrice des voluptés conleslables ayant pour adjuvant la danse dont ce soir on m’offre le spectacle. Dans la salle à manger empuantie de friture, d’ail et de tabac, où l’on abandonnerait bien volontiers son repas aux mouches qui vous le disputent, voici une de ces u artistes » justement, installée à sa petite table. Le massif faciès bestial s’éclaire de certaine intelligence relevant plutôt de l’astuce. Par-dessus la robe fourreau en grosse mousseline à rideaux ramagée orange et bleu, tombe la melliafa de méchante gazo rayée vert et saumon — cette sorte de manteau de cour, partie intégrante du costume de la femme arabe, si déguenillée soit-elle, et dût-il traîner, lamentable, dans la poussière ou la boue. La tête est surchargée de lourdes tresses d’un noir mat et gras, s’entremêlant avec des étoffes de couleurs vives, assez mal ajustées : le guermour. Au cou, aux poignets, sur la poitrine opulente cliquètent les lourds bijoux en orfèvrerie émail- lée plutôt grossière. Aux chevilles linlinabulent les khalkal d’argent, et l’effot de ces bracelets pour jambes nues est fâcheux sur des bas de coton chair dans des souliers jaunes à hauts talons. Elle mange à même le plat, maniant la fourchette avec des gestes non sans grâce de ses mains fines, paume et ongles teints au henné, et boit du gros vin noir avec un air de faire la nique à Mahomet. Un drôle de petit chien l’accompagne. Cela étonne en pays musulman, où sauf le noble sloughi, chasseur de gazelles, l’espèce, tenue pour impure, est écartée de la familiarité. Il quête auprès des dîneurs. Honni soit qui mal y pense. Ces dames sont supérieures à un genre de provocation en usage dans notre occident. Celle-ci d’ailleurs est pour ainsi dire un chef de service de qui; l’importance se mesure au sobriquet de « la sous-préfète » sous lequel elle est connue dans le territoire delà commune mixte : quelque chose comme trente mille kilomètres carrés. Le voisinage ici va loin. La nuit venue, je monte au ksar. C’est fort raide. A cette heure l’aspect en est fanlômali- que. Au long des ruelles en escalier les maisons, comme en Iiabylie, ne sont pas surmontées de terrasses, mais couvertes d’une toiture en tuiles, simples rez de chaussee sans autre ouverture extérieure que la porte fermée et verrouillée. Un faible rai de lumière, filtrant par quelque joint, décèle seul la vie familiale, étroitement recluse, de la cour intérieure. Quelques boutiques encore ouvertes, où un lumignon fumeux éclaire vaguement des ustensiles en fer battu, un pain de sucre piqueté de mouches, des mouchoirs de cotonnade rouge et jaune pendus pêle- mêle avec des chapelets de piments, des babouches, des chandelles. Des sons aigus et discordants nous guident vers les cafés maures, seuls vivants dans cette ville morte. Leurs fortes lampes à pétrole projettent au dehors une lueur sur les dalles raboteuses. Celui où nous entrons est pareil à tous les autres. Salle basse, de médiocre dimension, autour de laquelle court un di- 5
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