Sans y regarder d’aussi près, le descendant des fiers Numides se reconnaît à ce qu’il ne dédaigne pas de travailler. Colporteur souvent, davantage paysan. Symbole aussi, la livrée couleur de terre que lui font des vêtements qu’oncques jamais ne connut dans leur blancheur. Ces hommes lents et patients que nous voyons tailler la vigne, pousser la charrue dans la plaine féconde sont descendus des gorges du massif hautain qui la domine. Ce sont leurs femmes, celles dont les informes lainages bariolés éclatent comme des fleurs dans les sillons où elles se courbent, sarclant les plantations de tabac et de safran, les champs de géraniums et de verveine cultivés pour la distillation*J Au rebours de la femme arabe, allant à visage découvert, elles s’adonnent aux travaux extérieurs. De haute stature, taillées en force, dans les plus humbles labeurs elles apportent les allures tragiques. Chez les anciens Berbères les pythonisses jouaient un rôle considérable. 11 en fut d’illustres : ces « Lalla » Gouraya, Iihadidja, Marnia, qui ont donné leur nom à la cime surplombant Bougie, au pic culminant de Djurjura, à certain lieu vénéré de l’extrême ouest-oranais, devenu un de nos postes militaires après l’avoir été des Romains. Sorcières, leurs filles déchues le sont encore par le visage, dès qu’elles ont dépassé la toute prime jeunesse, mais avec certaine noblesse que leur confèrent des traits anguleux, un profil d’oiseau de proie, des yeux perçants et durs, la sévérité d’expression de ces peuples sans joie. La Mitidja est une coupe remplie de soleil entre les cimes qui l’encadrent de leurs lignes d’élégance un peu sèche, mais parfaitement harmonieuse. De tous les points y est visible, juchée sur sa colline non loin de Tipaza, l’énorme masse cylindrique ridiculement qualifiée Tombeau de la Chrétienne. Duveyrier traduisait Iiobr-Roumia par « le Tombeau romain ». Bien que le style en soit gréco-punique, comme dans la province de Constantine l’analogue Medra- cen, et d’autres, moindres, à Frenda en Oranie, l’appellation aurait une justesse approximative. Car des esprits superficiels ont voulu y voir la sépulture de Juba II, vraiment roumi par son éducation toute romaine. Cela semble plausible, puisqu'il avait fait sa capitale de Césarea tout proche, aujourd’hui Cherchell. Mais préeisémentà cause de la vraisemblance, les archéologues, s’appuyant sur un texte vague de Pomponius Mêla, préfèrent y situer Syphax. Vanité des choses !... Se faire enterrer de façon aussi voyante pour que la postérité ignore votre nom... Quel que fût ce prince numide, dont les cendres, voilà bel âge, ont été profanées par les chercheurs de trésors, reconnaîtrait-il à ses pieds les terres où il régna ? Dans ce jardin des Hespérides la glèbe généreuse donne tout ce qu’on lui demande, même du thé de Chine. (Je n’en ai pas goûté: méfiez-vous). Les chroniqueurs berbères vantent la richesse de leur pays aux temps anciens. Mais à l’époque de notre conquête, la Mitidja était une brousse fiévreuse. 1. L’Algérie pourrrait concurrencer la Bulgarie pour l'essence de roses. Elles viennent partout, abondantes, et ce n'est pas difficile d’y planter la variété spéciale. Quant au géranium rosat, il donne trois coupes par an à Boufarik. Parmi les cours d’eau, souvent à sec et qui pourtant la faisaient marécageuse, il en est un dit « rivière de la Maladie» oued-el-Merdh... dont, par un louable souci de décence, l’administration a modifié le nom en oued Meurad. Soit noté en passant, dans le massif des Maures, envahi au ix" siècle par les Sarrasins, les torrents ont nom « ouâdi ». Ce riant Boufarik, nid de verdure et vase à parfums, où les jardins sont clos de haies de roses, était empoisonné à tel point que « les oiseaux de passage y tombaient morts ». Exagération arabe, j’imagine. Le fait est que la malaria fauchait annuellement jusqu’au quart des habitants. L’Algérie — et il ne s’agissait alors que du Tell — fut longtemps réputée insalubre à l’égal de Cayenne. Cela va de soi que l’opposition imputait à crime au gouvernement cette conquête si coûteuse que tout un parti en préconisait l’abandon. Les plus doctes hygiénistes y déclaraient impossible l’acclimatation de l’Européen. De fait a-t-il fallu près de deux générations pour que le nombre des naissances équilibrât celui des décès. Aujourd'hui il est en excès de vingt-cinq pour cent. Malheureusement, on le sait, la moitié de cette population immigrée n’est pas française ou ne l’est que de nom. L’éternel apologue de Bertrand et Raton. L’assainissement de la belle Mitidja a été dû pour une part à l’apostolat du docteur Maillot en faveur de la quinine substituée aux saignées dans le traitement du paludisme.. Davantage fut-ce l’oeuvre du défrichement, cette arme à deux tranchants. La terre est une bourrue bienfaisante : remuée, elle se fâche et exhale les miasmes délétères ; la cultiver l’apaise et elle les résorbe. Que n’a-t-il pas fallu débroussailler, épierrer, assécher, drainer, irriguer, labourer, semer, planter... Combien ont été victimes de cette oeuvre sans gloire... il est question d’élever un monument en l’honneur des colons. Ce sera justice. Mais à condition qu’il soit autre que la colonne érigée récemment à la mémoire des morts de l’armée d’Afrique, sorte de gigantesque phare dominant Alger de son agressive laideur. Le colon mourait en défrichant, le soldat en se battant. Celui-ci avait quand même un peu plus de mérite, car le colon mourait pour sa terre alors que le soldat mourait pour le colon. Dès les premiers pas sur le sol africain se dressent des témoignages de sa valeur. Aux heures tragiques où je le salue en passant, le petit obélisque qui immortalise « les dix-huit braves de Beni- Mered » prend une signification particulièrement forte. Car ce sontde telles traditions qui forgent les héros. Dix-neuf hommes du 26* de ligne, avec deux chasseurs d’Afrique et le sous-aide major Ducros allant rejoindre son poste, sont assaillis par 200 cavaliers. Sommé de se rendre, le ser" gent Blandan riposte par un coup de fusil. Quand il tombe, son ordre suprême est de tenir jus- quà la mort. Le détachement de secours ne trouva que cinq survivants criblés de blessures. Quasi aux portes d’Alger, cela se passait après onze ans d’occupation. Episode entre tant d’autres. A Sidi-Rached, S0 chasseurs d’Afrique sous le capitaine Daumas, enveloppés par 1.500 Arabes, se retranchent dans un marabout. Le capitaine Favas, qui avec 60 cavaliers se trouvait en
27f 123
To see the actual publication please follow the link above