Gibraltar, ce rocher qui était une des deux colonnes d’IIercule, en vis-à-vis du Djebel Moussa « le Mont-aux-Singes », dominant Ceuta. Faut-il en croire la légende voulant que la trahison du gouverneur de l’Andalousie eût pour objet de venger l’outrage fait à sa fille par le roi goth lloderic? Pourquoi non ? La plus petite cause souvent donne le plus grand effet. Du moins nous apparaît elle petite, au vrai déterminante occasionnelle de l’effet inéluctable. La pelure d’orange est une fatalité, non un accident. Pendant que monte vers le Nord le flot des Sarrasins qui, repoussés pied à pied par les princes chrétiens, perdront seulomentsept siècles plus tard leur dernier royaume européen de Grenade, c’est, en Afrique, une inextricable et sanglante confusion. Des familles de potentats, dont certains furent des justiciers et des législateurs, sont en incessants conflits. Almorávides, issus de nomades sahariens, almohades dont le berceau fut cette mélancolique petite Nédroma qui, aux confins nord-marocains, région toute berbère, sommeille entre ses remparts croulants dans un cirque perdu du massif des Trara. A Fez, fastueuse et lettrée — quantum mulalus ab illo — régnent les édrisides, les mérinides, les zirides. De TIemcen les abd-el-oualites et les zeyani- tes, de Bougie les hammadites font des centres de haute culture. A Kairouan, qui naît au vu0 siècle, à Tunis, seulement au xie, les hafsides, les aghlébites sont débauchés, ivrognes, féroces, mais parfois hommes de gouvernement. Ainsi cet Ibrahim II qui, tout en commettant de monstrueux forfaits, rendait exacte justice à son divan, en vertu d'un axiome digne de notre Louis XI : « Il n’est permis à aucun, hormis le prince, de mal faire. Les sujets sont les soutiens de l’Etat. Il faut empêcher que les grands les oppriment. » Un moment ce pays fut pacifié par l’émir Abou-Zekaia, qui étendit sa domination jusque sur les principautés musulmanes d’Espagne. Il était l’allié de l’Empereur Frédéric II, ce Germain si partial envers les Sarrasins, et laissa un trésor abondant ainsi qu’une bibliothèque de 36.000 manuscrits. C’est contre son successeur EUMos- tancer que Saint-Louis dirigea la dernière croisade. Le récit qu’en fait Ibn-Khaldoun est curieux : « Le peuple des Francs descend de Japhet. Il habite la rive septentrionale de la mer romaine occidentale. Au levant il a pour voisins les Grecs, au couchant les Gallegos... Louis fils de Louis, Red Frans, entra en discussion avec le Khalife parce que les héritiers d’un marchand de Mehdia refusaient de payer des marchands provençaux. » — Les guerres déjà avaient des mobiles économiques — «... Avec lui le prince d’Angleterre, le Red Ragon » — roi d’Aragon — « Le Seigneur de la Grande Terre » — sans doute le comte de Toulouse — « 6.000 chevaliers et 30.000 hommes de pied débarquèrent de 300 navires... Le doigt de Dieu le frappa et il mourut de la peste. On paya alors à l’armée 210.000 écus d’or pour qu’elle s’en retournât dans son pays. Depuis lors la décadence des Francs ne s’arrêta plus. Leurs princes se partagèrent l’empire... La famille du roi existe encore, mais sans puissance et au dernier degré de faiblesse. » A TRAVERS LA MIT ID JA 23 Médiocre en geopraphie, 1 historien des Berbères n’était pas trop mal informé sur la poli- tique européenne. Car ceci est écrit aux pires heures de notre guerre do Cent ans. Cette dynastie néanmoins, 6 Ibn-Khaldoun, a repris du poil de la bête. Celait ses descendants, les Ouled- el-Rey, « fils de roi», ces princes beaux et braves dont l’un enleva d’assaut Constantine, assiégée pour la quatre-vingtième fois de son histoire, un autre, du haut de son cheval de bronze, tient Alger sous son épée tendue, un troisième enfin s’illustra par la prise de la Smala, ce fait d’armes si français dans l’élégance de son audace un peu folle. Cela s’entend bien que les convoitises européennes aussi s’abattaient sur le littoral africain. Dès le xin* siècle Gênes, Pise, Venise, y établissent des fondouks — ces comptoirs, pêcheries d’éponges et de corail dont la concession était accordée moyennant finance par les princes arabes. Procédé do pénétration pacifique qui est invariablement l’avant-garde des conquêtes. Le commerce ouvre les routes aux armées pour que les armées ensuite assurent le commerce. La première intervention militaire est en 1202 celle d’Aragonais s’emparant de Collo, où dès l’antiquité existaient des teintureries de pourpre. On prend, on perd, pour reprendre et reperdre. En 1390 véritable croisade de Français, de Catalans, do Génois sous le duc do Bourbon. AveggJean I" les Portugais entrent en lice. Ils prennent pied dans ces ports du Maroc qui, cinq cents ans plus tard, seront reconquis par nous. Alphonse V se décore du titre, depuis lors conservé par Sa Majesté Très Fidèle, de « Roi des pays en deçà et au delà de la mer, Rédempteur des captifs. » Prudent et avisé, Louis XI préfère l’action diplomatique : il entretient des consuls à Bougie, à Ceuta. Voici le lourdes Espagnols. Après la chute de Boabdil, ils pourchassent les Maures au pays d’où ceux-ci étaient venus. Mostaganem est occupé, Ténès, Dellis, Mers-el-Kébir, Oran, les presidios marocains où ils sont demeurés. Dans son testament Isabelle la Catholique avait écrit: « Il ne faut pas interrompre la conquête de l’Afrique ni cesser de combattre les infidèles ». L’influence posthume de cette énergique souveraine décida son pusillanime et parcimonieux époux à entreprendre contre Alger — qui alors seulement prend figure dans l’histoire — l’expédition du capitaine général Diego de Cordoba, dont les fauconneaux et ribaudequins lançaient des boulets de quarante livres, aussi terrifiants par ce temps que les actuelles marmites. L’Espagne cependant abandonne la lutte. Les chevaliers de Malte la continuent, les Anglais s’y mettent, les Hollandais, les Toscans. Avec le début du xvi" siècle, événement capital qui do nouveau va transformer les pays barbaresques. Les eaux méditerranéennes se trouvaient depuis longtemps disputées aux pirates turcs par les marins sardes, corses, siciliens, maltais. Parmi ceux-ci le plus redouté était alor., Baba-Aroudj, établi dans l’île de Djerba, sous l’égide du sultan Moulay-Mohammed, de qui il entretenait le bon vouloir par des tributs agréablement présentés, tel celui-ci: cinquante
27f 123
To see the actual publication please follow the link above