la baie noyée d’or et d’azur. Du côté opposé, traversant des lieux charmants si ne les avilissaient quelques guinguettes et né les ridiculisaient des noms saugrenus : Climat-de-France, Retour-de-la-Chasse, Beau-Fraisier, on gagne cette vallée des Consuls, pas trop gâtée encore par les vide-bouteilles des mercantis algérois, au fond de laquelle, lors de la conquête, la brigade de Loverdo fut à deux doigts d’être taillée en pièces. Suivant de longs lacets, ôn monte à Notre-Dame d’Afrique. Par-dessus l’immense cimetière israélite se superposant à celui des chrétiens, où est enseveli un des héros de l’épopée algérienne, le général Yusuf, par-dessus le fort des Anglais, ainsi nommé sans doute à cause que l’a bâti le Turc Djafar, par-dessus l’ancienne Dar-el-Baroud, « la Maison de poudre » des deys, devenue une caserne, par-dessus ce fâcheux Saint-Eugène dont, d’en haut, n’apparaît point la vulgarité de banlieue — par-dessus tout cela on voit onduler la splendeur bleue du large. Et lui faisant face, un sarcophage de granit est érigé à la mémoire de ceux qu’engloutit la Méditerranée perfide. « Combien de matelots, combien de capitaines... » Montant, montant toujours, on gravit la rude colline de la JBouzaréa, hérissée de palmiers nains. Et de là, bien au-delà de la pointe Pescade, on découvre des étendues lumineuses, jusqu’au Djebel-Ghenoua, la montagne de marbre rose qui domine Tipaza, et au-delà du cap Mati- fou laMitidja verte et rousse bornée par les cimes altières du Djurjura. Voulez-vous allez moins loin? Gagnez la batterie des Arcades dont les canons désuets braquent à travers la verdure leurs gueules inoffensives. Engagez-vous dans un bois d’araucarias énormes, d’eucalyptus géants, au pied desquels croissent de nobles acanthes. Descendant au long des rouges murailles d’aspect sinistre qui enclosent la riante villa Abd-el-Tif, séjour des « prix de Borne » algériens, contournez les jardins de l’Inslilut Pasteur, tout flamboyants de sauges et de capucines. El vous débouchez sur la vieille fontaine du Hamma. Depuis quatre siècles que, sous l’ombre d’épais platanes, elle verse Son eau fraîche, l’humidité a patiné sa maçonnerie d’étranges tons glauques. Des pariétaires fleurissent dans les joints et les crevasses. Voici venir une caravane de bourricots hirsutes, le poil ébouriffé en toison. Tout petits, chacun disparaît sous la lourde charge de charbon de bois en sacs fermés par des rameaux verts. L’oeil intelligent, la physionomie réfléchie, d’eux-mêmes ils s’écartent de la roule pour aller s’abreuver. Puis doux, patients, résignés, ils reprennent leur marche accablante. Les maigres âniers sont haillonneux comme seuls savent l’être des Kabyles. La gandoura trouée, en cotonnade passée du blanc à ce ton spécial auquel une grande reine n’a pas craint de donner son nom, couvre bien juste les cuisses plates et laisse nues les jambes fines, nerveuses, dont le soleil a tanné la peau en du cuir fauve, emmanchant des pieds de corne grise. Autour de la tête au profil aigu, où luisent des yeux aussi noirs que leur marchandise, s’entortille un a chè- che » de calicot fort sale. Le burnous, vraisemblablement hérité de leur grand-père, dont la laine grossière est matelassée de maladroits rapiéçages, se trouve réduit par des raccourcisser ments successifs à l’étal de pèlerine effilochée. Mais il est drapé fièrement, avec cet enroule- ment autour du bras qui est celui du Romain dans s i toge. Matraque au poing, ces hommes ont marché toute la nuit. Leur pas rythmé n’accuse aucune fatigue. Ce soir ils s’endormiront sur le sol nu, auprès de leurs bêtes entravées, dans quelque creux aux portes de la ville. Puis à l’aube, les ânes portant quelques grains, moins chargés qu’au départ, car l’échange n’est pas égal, ils reprendront le chemin du pauvre douar accroché à quelque flanc de montagne, où leur gîte n’est guère qu’une tanière. Le Hamma — c’est le nom de cette bande de terre d’alluvions, profondément humide, inondée souvent, qui s’étend de la base des collines à l’étroite plage au long de laquelle s’alignent les « cabanons » de la bourgeoisie algéroise, unique point de la côte où l’on se puisse baigner et respirer la brise marine, insuffisant diclame contre l’été torride. Ce nom, elle le tient de la lourde et chaude vapeur d’étuve qui l’enveloppe, fécondant les cultures des maraîchers maho- nais entre des haies de roseaux glauques et de grêles tamaris. Le Jardin d’Essai lui doit ses végétations tropicales. C’est merveille, ces avenues entrecroisées de plalanes dont je n’ai vu les pareils qu’en Anatolie et sur les pentes du Magne, de bambous plus gros que le bras, de ces dragonniers qu’en réduction de serre nous appelons dracoenas, de ficus, de lataniers, de choemerops qui sont à ceux ornant nos appartements comme à ceux-ci le pot de basilic de Jenny l’ouvrière. Et celle des magnolias colossaux, un enchantement lorsque s’y épanouissent les larges corolles odoriférantes, d’un blanc opaque, en accord avec les carillons de clochettes ivoire des yuccas deux fois hauts comme nous. La plus magnifique est colle des multipliants, cette sorte de baobab dont les branches laissent tomber en stalactites des échevaux de fibres qui, en touchant terre, s’y enracinent et donnent naissance à un nouveau tronc, chaque arbre faisant ainsi à lui seul une forêt. Toutes espèces acclimatées, poussant comme chiendent. Et sous leur ombre, dispersés en un délicieux désordre, massifs de géraniums et d’héliotropes arborescents, rosiers on hauts buissons toujours fleuris, abutilons jaunes tachetés de rouge, cadmiums éclatants, altéas mauves, roses, pourpre, daturas aux cornets d un blanc morbide, poin- settas étalant leurs larges étoiles du plus riche vermillon, hibiscus dont les étranges pétales orangés s’allongent d’un onglet bleuâtre. Et encore des champs de pervenches d’un bleu intense, de primevères de la Chine à contextura de camélia, d’anémones, de renoncules, de pourpiers aux cent couleurs. Pourquoi faut-il que la malaria fasse presque déserts ces jardins dignes d’une sultane ? Elle monte, vers le soir, des rigoles d’irrigation que remplissent les norias mues par un honnête mulet, tournant tout seul, s’arrêtant quand il en a assez, puis reprenant son manège avec la mine sagace de qui sait exactement mesurer son effort. Elle s élève aussi, avec des nuées de moustiques, de ces bassins de marbre où des touffes de papyrus et des arums
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