iilii sont adroits et lents. Ils ne sollicitent le passant ni même le regardent. Ailleurs des éventaires présentent sucreries poisseuses et pâtisseries grasses, infâmes fritures luisantes d’huile, tripes sanguinolentes et innommables morceaux d’une répugnante «bidoche». Sur le pavé rompu s’of- frent par tout petits tas carottes et navets, oignons et piments, oranges et cacaouettes. Et pardessus traînent de ces colliers embaumés, faits de fleurs de jasmin, de grenadier, de cassie, dont, à deux pour un sou, se parent les moukères. Ces risibles négoces sont exclusivement masculins comme, en pays musulmans, tout travail extérieur. Ombre de travail, fort prisé par ces partisans du moindre effort. En des boutiques sombres, sentant le poivre et le safran, où à peine a-t-il place pour ses mouvements mesurés, le « moutchou » mozabite vend sa menue épicerie, sa quincaillerie commune, ses cotonnades grossières. Voici un carrefour où se concentre la vie locale. Vieille petite mosquée perdue entre des cassincs galeuses, la salle de prière ouvrant sur une courette fort sale, où les ablutions rituelles de pieds poudreux se font dans l’eau que verse une fontaine encadrée de faïence. Elle s’accoste d’une minuscule école : salle basse où le taleb, une longue baguette à la main pour stimuler les paresseux — je veux dire les plus paresseux ■se tient accroupi sur les talons au milieu de ses élèves qui glapissent des versets du Coran. Il vente du nord aujourd’hui et chacun à tour de rôle va se pelotonner contre le réchaud de terre où de la braisette rougoie dans les cendres. En face le bain maure. A côté un barbier tond, selon le rite, les crânes noyés dans la mousse de savon fleurant la mauvaise rose et le benjoin rance. Ici enfin, sur le fourneau constituant tout son établissement, le kaouadji préparé son café trouble et sirupeux, servi dans des tasses sans soucoupe aux clients qui, demi-étendus sur le pas de la porte, secouent leur indolence pour, à grands tours de bras tout à fait hors de proportion avec leur objet, jouer aux dominos. Tout cela se passe sans bruit. Même le bavardage de ces gens tellement repliés sur eux-mêmes qu’on se demande où ils peuvent bien trouver quelque chose à se dire, leur intarissable bavardage même trouble à peine le silence. Les enfants mêmes qui polissonnent — galopins en culottes trouées et chéchia vermineuse, gamines effrontées qu’engoncent des fourreaux de pilou rouge ou d’indienne violette, petites juives à l’oeil quêteur, en atours sordides et criards — eux-mêmes no sont point tapageurs. Puis ce sont des lacis de passages ténébreux, couverts par l’accolement des étages en surplomb de deux masures tout de guingois, des labyrinthes de venelles désertes, entre les murailles percées de rares lucarnes grillagées en fer qui s’effrite sous la rouille. De sinistres culs-de-sac semble des coupe-gorge. Et la main de Fatma dont le dessin rudimentaire est Tunique représentation de la figure humaine tolérée par le dogme, peinte en sang-de-boeuf au-dessus du seuil pour conjurer les mauvais esprits, on y croirait voir l’emblème de quelque scélérate maffia. Illusion romantique. Les coups de couteau et de matraque ne sévissent guère que dans les maisons mal famées qui cyniquement s’étalent au long des voies principales. A celte heure-ci,
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