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sure à la clepsydre le temps de chacun selon sa redevance. L’usage du tiers du débit une heure par quinzaine se paie six cents francs. Calculez le nombre d’abonnés et dites si une source au Figuig ne vaut pas ferme en Beauce. Ces bassins de retenue., dûs à l’industrie locale, sont une épine au flanc du corps des ponts-et-chaussées. Car, les ingénieurs l'affirment, de construction défectueuse, ils ne peuvent pas tenir. Dans leur impassibilité musulmane ceux-ci les narguent. Voyez donc l’impertinence... On adjure le bureau de ne pas les montrer aux jeunes polytechniciens. S’ils allaient en conclure à la faillite des équations et des épures ?... Que si on veut exaspérer la légitime irritation de ces hommes très savants, on leur rappelle, dans le Tell oranais, la rupture de leur barrage du Sig et ses terribles ravages, celle du barrage de l’Habra qui coûta la vie à cent soixante colons. Au vrai, tels les clients des médecins de Molière, ces infortunés ont- ils eu la consolation de mourir selon les règles... Je m’empresse de décliner la responsabilité de cet irrévérent rapprochement dû à un vieux blédard de mes amis. Les compétitions aquatiques ne sont pas seules à diviser les ksour. Nulles gens qui soient plus en défense les uns contre les autres. D’abord enceinte commune à peu près continue sur un parcours de quelque seize kilomètres. Puis chacun la sienne. El-Oudaghir ne nourrit que trop de griefs contre Zenaga, qui est à couteaux tirés avec El-Haâdid. El-Maïz Foukhani, « la Chèvre d’en haut », montre les dents à El-Maïz Tathani, « celle d’en bas », tandis que El- Hamma « Supérieur » et « l’Inférieur » se regardent en chiens de faïence. Ce n’est pas encore assez. Dans tout jardin de quelque importance se dresse une tour de guette permettant de surveiller le voisin. L’humeur éminemment querelleuse de cette population est le fruit d’une malédiction. En châtiment de son impiété et du dérèglement de ses moeurs, certain marabout des temps écoulés prononça : « Qu’Allah vous rende jusqu’au jour du Jugement Dernier comme des cardes qui s’entre-déchirent! » Pareille vaticination avait été lancée sur les Berbères de Ka- bylie par leur grande maraboute Iihadidja, Ces gens sont de mine peu avenante, voire farouche. Très basanés, souvent davantage, étant métissés de sang noir, le type est rude, dur, commun. Plus de ces hommes au teint mat, aux yeux do velours, allures nobles, façons courtoises. Plus de « bonjôr » jeté au passage, de café offert à tout bout de champ, d’essais de conversation. Force est bien de nous tolérer, mais en nous lardant de regards hargneux. Ce ne sont pourtant que citadins d’inclinations toutes mercantiles. Hors les brodeurs sur maroquin, fort habiles, tout ksouri qui a amassé deux couples de douros achète un pain de sucre, un sac de poivre, une pièce de cotonnade et s’accroupit derrière sa marchandise. Selon les us sahariens, chaque notable a partie liée avec un chef nomade. Il lui fournit l’orge et le b lé B une vingtaine de quintaux par cheval et autant pour la famille -glles emmagasine chez lui, où son client vient en prendre au fur et à mesure du besoin ainsi que le thé, le sucre, les dattes. D’autre part, à des époques déterminées il se rend dans la tribu pour échanger des objets manufacturés, des cartouches, contre de la laine, du cuir. L’un est le banquier, l’entrepositaire de l’autre, qui éventuellement le protège contre les risques de razzia. Il y a des juifs au Figuig. De ceux à turban noir et barbe de patriarche dans un visage de cire présentant,en dépit des yeux chassieux, certain caractère biblique. Mais aussi des juifs mulâtres ou quarterons qui sont d’abjects spécimens d’humanité. Peu prospères d’ailleurs, handicapés par l’interdiction de prêter à intérêts ainsi que de posséder de la terre. De ce que, dans tant de ksour, j’ai vu de reclus et de morne, rien d’égale l’aspect morne et rèclus de ceux-ci. Ruelles escarpées, raboteuses, où les pas soulèvent des poussières recuites entre de grises murailles d’argile calcinée, la circulation à cheval n’y est possible qu’en se cognant les genoux aux tournants et, dans les parties couvertes, en baissant la tête. Labyrinthe sordide, donnant l’impression d’une taupinière abandonnée. De place en place, des hommes affalés dans leurs laines roussies ou leur cotonnade indigo sur les bancs de maçonnerie s’accotant aux façades, rôtissent au soleil le crâne nu, rasé à vif, qu’enturbanne un mouchoir tortillé autour du front boucané. Une vie cependant palpite dans cet amas de boue sèche. Même, me dit-on, un foyer d'intellectualité musulmane y couve sous les cendres qui semblent l’ensevelir. Comme on comprend le génie d’intrigues ténébreuses de ces populations stagnantes, écrasées de tristesse.... Une activité de nature quelconque est indispensable au cerveau autant qu’au corps certain jeu des muscles. Blanc, net, aéré, le bordj repose la vue. Image de la clarté, de Tordre, nos historiques et capitales vertus, se drossant vis-à-vis l’incurie, l’incohérence musulmanes. La prudence a voulu qu’il fût placé à la lisière des plantations.. C’est dire plutôt rissolé ce qui fait pour paraître un jardin de touchants efforts. De proportions monumentales, ses actuels habitants y tiennent à Taise : le commandant, l’officier interprète, le médecin-major. Avec l’agent des postes, et gardés par quelques mokhazni, ils incarnent la puissance du peuple français. Autorité nominalement juxtaposée, au vrai superposée à l’illusoire souveraineté chérifienne. Celle-ci est représentée par un pacha que nous y avons mis.. Jeune Maure de Tanger, frêle, languissant et pâle dans l’élé- .gance de son burnous gris perle, personnage amorphe, abruti de paresse et de débauche : un oripeau au bout d’un bâton. C’en est assez pour maintenir la fiction. Son dar-el-maghzen, « la maison du gouvernement », vaste, délabré et vide, isolé dans la plaine, comporte comme garnison une poignée de va-nu-pieds recrutés dans la canaille des ports, habillés vaille que vaille de façon disparate, qui présentent les armes très correctement. Quant au surplus, apparaisse le moindre symptôme d’effervescence, ils fileront à travers le bled tel un troupeau de gazelles, leur chef donnant l’exemple de la vélocité. Moins précaire comme sauvegarde la vue des brèches pratiquées par nos obus dans ces remparts que tenait pour inexpugnables la naïve infatuation des Figuiguiens. Non qu’ils aient causé grand dégât, traversant le torchis comme


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