s ’épanche sur ce rougeoiement, donnant du lilas dans les clairs, dans les foncés montée au ton de l’aubergine. Mes yeux y prennent plus de joie qu’à l’examen des hadjerat mektoubat auxquelles toutefois je me crois obligée de marquer de l’intérêt. Ces « pierres écrites » ne sont pas seules de leur espèce dans le Sud-Oranais et il en est d’analogues aux pays touareg. Qui n’est clerc en ces choses y voit des « jean bout d’homme » tracés au couteau par un pâtre s ennuyant à garder ses moutons. L’effigie d’un lion n’a rien pour étonner : c’est bien notre faute si a disparu le « saïd » — le seigneur. Plus imprévus les éléphants ‘. Mais les gens qui savent affirment que voici deux mille ans ces pachydermes prospéraient dans l’Aurès. De quoi s’est autorisé l’auteur de Salammbô pour les faire figurer comme bêtes de guerre dans l’armée carthaginoise. Et c’était certes de rudes tanks. Que sont ces chasseurs armés d’arcs et de flèches, coiffes de plumes, tels des sachems indiens? Tout ce qu’on sait, c’est que ces gravures rupestres sont fort vénérables. Et un archéologue venu ici tout exprès pour les voir— n’en disputons point — a trouvé ce vestige d’art berbère primitif analogue aux pedros pintados, les pierres peintes des ruines aztèques de l’Arizona. En ce ravin brûlé, pas d’autre végétation que, par endroits, un souffreteux duvet blanchâtre. Puis un évasement et des palmiers jaillissent. Surprises toujours renouvelées, ces soudaines affirmations de vie dans la désolation de terres mortes. A leurs pieds un oued où parfois il doit y avoir de l’eau, puisque voilà un barrage et aussi des roseaux, en vérité, et des lauriers- roses. Meme y en a-t-il un peu, car des négresses y piétinent leurs lainages cramoisis qui, sous la mousse savonneuse, donnent un effet de fraises à la crème. L’eau, c’est l’orgueil de Tiout. A telles enseignes qu’on y trouve des poissons — rara avis, n’était trop hardie cette image. Et dans le jardin de l’agha, embaumé d’on ne sait quels effluves aromatiques, languit un oranger. Cette famille est originaire de Miliana, issue d’un savant qui y fut célèbre, mais apparentée aux gens d ici. Population marocaine, arabe, plus ou moins mélangée?... Rien d’ardu comme ces problèmes ethnologiques, supérieurs a ma compétence. Ce que je sais, comme tout le monde, c’est que les Berabers — leur nom en dit assez — forment une confédération importante et puissante dans ce bled-es-sida, le « pays non soumis » par opposition au bled-es-magh- zen, lequel nous avons vigoureusement entamé. Rudes, farouches, très guerriers, rapaces, cela s’entend, donc pillards, le « bien d’injustice » étant plus profitable que celui dû à la justice du Distributeur (Lui Seul est Grand !), ils nous ont donné, nous donnent et nous donneront 1. Une croyance arabe veut que le lion n’attaque jamais une femme. Fait qui se serait vérifié. A cela il y aurait une explication en forme de serpent qui se mort la queue. Forte de cette certitude, se croyant à l'abri du danger la femme arabe conserverait en présence du fauve cette attitude calme et assurée qui intimide. Car là est tout le secret du dompteur sans le concours d’aucun don mystérieux, de nul romantique pouvoir de fascination. encore du fil à retordre. Ceux qu’a ralliés la crainte ou l’intérêt n’ont pas cette grâce souple et féline de nos sujets arabes. En chemin nous avons rencontré un parent de l’agha et nous allons tous trois botte à botte. Bras nus dans la gandoura blanche souSyle burnous noir, front bas et buté, physionomie dure, fermée, maussade, voilà un tout autre type. Il parle à peine le français et cela me dispense de me mettre en frais, de quoi au demeurant paraît-il ne se soucier guère. Pour l’excuser, mon aimable jeune hôte me dit : « Il est très timide ». J’y consens. Toutefois j’aime mieux faire connaissance avec lui ici qu’au coin d’un bois — métaphore bien peu adéquate au désert. Le méchoui même ne le déride point et il ne supporte pas sans humeur la taquinerie de son cousin insistant pour, comme lui, boire avec moi du champagne, vainement baptisé « de la gazouse ». Voici un instant, au loin dans la plaine, le train tout doucettement cheminait, petit, oh ! si petit, semblant un jouet d’enfant. Etablissant un rapprochement entre ce rien là et l’immensité dont le vide apparent recèle des forces hostiles et frémissantes, Victor Hugo eût dit : « Ceci tuera cela ». $ • Beni-Ounif est un monument de la lièvre de spéculation qui sévit dans les pays neufs. Sur les albums de publicité de voyages, vous aurez remarqué, au nom de cette localité qui n’a rien de célèbre, l’imposante façade crénelée et flanquée de tours de l’hôtel du Sahara : un palace, ma chère. Au vrai, du crépi sur de la boue. Et derrière, l’ordinaire caravansérail, vaste, assez propre, dont les chambres en façon de cellule s’ouvrent sur une cour poussiéreure où volailles, chèvres et moutons errent en quête d’épluchures. Mais grande salle de fêtes, décorée « dans le goût mauresque » d’une polychromie à faire hurler, tandis que des fricots imprécis sont servis à de rares clients par un indigène en culotte trouée et tablier douteux. Image de cette ville surgie des sables, auprès d’un misérable petit ksar et d’une chétive palmeraie. La mairie, la chapelle, où de loin en loin se dit une messe, le bain maure, le pavillon du commandant d’armes, le cercle militaire, les casernes, des entrepôts, jusqu’aux abreuvoirs, tout est monumental, avec luxe d’arcades et de coupoles d’un blanc à aveugler. Immense place centrale, tracée de larges voies absurdité aux régions torrides — demeurées à l’état d’amorce, qui devaient rejoindre, quinze cents mètres plus loin, les bâtiments du bureau arabe. Plan grandiose. En six mois des fortunes furent faites. Tel mercanti à qui on n’avait jamais vu de chaussettes dans ses savates n’allait plus qu’en voiture. Le déchaînement de l’orgie crapuleuse. Les douros, les louis, les billets bleus coulaient comme l’eau. De tout cela il reste quelques ilôts de maisons basses, dont beaucoup inachevées et d’autres closes. Les magasins sont vides, l’hôtel
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