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les Romains avaient nommé Pomaria la cité primitive, devenue ensuite Agadir en berbère « la Forteresse » — dont il subsiste seulement des débris de remparts mangés de verdure, ainsi qu’un hautain minaret s’érigeant, solitaire, parmi les acanthes et les asphodèles. Les sources abondantes qui jaillissent de cotte terrasse dominant un magnifique horizon entretiennent de plantureux vergers. A chaque pas ce sont des coins exquis. Flânant autour de l’enceinte, au pied de ce vieux bastion berbère, troué comme une écumoire - i la Porte des Tuiliers j’entre dans un cercle de curieux au milieu desquels opère en Aïssaoua. (Se rend-on bien compte que ce nom signifie « jésuite ? ») Tête nue, sa mèche rituelle sautillant en queue de rat sur le crâne rongé de pelade, tout suant des grimaces, des contorsions, des hurlements que rythme une batterie exaspérée de darbouka, les yeux révulsés, l’écume aux lèvres, il mâche de la paille enflammée, s’enfonce des couteaux dans le gosier jusqu’à la garde. Spectacle hideux que je fuis au plus vite. Un sentier s’offre, entre des buissons de jujubiers et de cactus. Je l’enfile au hasard et débouche sur une déclivité d’herbe fleurie, toute éclaboussée de soleil à travers d opulents ombrages, et coulant en pente molle vers de lumineux bois d’oliviers et de bellom- bras. Cimetière tellement ancien que le sol a absorbé les sépulcres. Quelques-uns l’affleurent encore sous les anémones et les pervenches. D’orgueilleux monuments abritaient des morts dont nul ne sait plus les noms. Quelle était cette traditionnelle sultane à la mémoire perdue de qui •une coupole octogone s’érige sur des arcades quintilobées du dessin le plus pur et le plus élégant? Une averse me surprend. Je me réfugie sous le porche d’une kouba. Dé la pénombre chaude émerge une haute silhouette blanche. Je comprends qu’on m’invite à entrer, et me voici assise à jambes rebindaines en face de mon hôte, sur une peau de mouton — qui ne laisse pas de m inspirer quelques inquiétudes —- entre nous un réchaud de terre rougeoyant de braise, où bout le café dont il m’offre une tasse. Pour en user aussi familièrement avec le saint lieu, serait- ce l’ombre du pieux personnage dont, dans un coin, s’allonge la tombe étroite, encadrée de faïences? Simplement le gardien. Tout au long du jour il demeure ici, engourdi dans cette torpeur que nous imaginons être du rêve, recevant les offrandes des dévots venus pour implorer des guérisons miraculeuses. A la majesté de sa barbe, à la gravité de ses gestes, à la noblesse de sa courtoisie, à la grandiloquence devinée de ses discours on dirait aussi bien un grand-vizir. Peut-être après tout est-ce le dernier des Abencerrages, dont n’eût été que l’avant-dernier celui de Chateaubriand. Ne riez point. Tlemcen est peuplé de vieilles familles de Maures andalous, fort déchues dans leurs biens, qui n’en conservent pas moins au fond des coffres en bois de cèdre les clés de leur maison de Grenade. Qui sait jamais, qui sait ce que réserve aux Croyants le Distributeur, le Rétributeur, Maître de l’Univers, Il est Grand, Il est Unique, Louange à Lui! Dire qu’on roule sur la route de Tombouctou n’est qu’un mot: toute route conduit quelque part. Là toutefois où il n’y a rien s’abolit le sentiment des distances. Trois fois la semaine un train qui couvre gentiment ses trente kilomètres à l’heure mène à l’actuel terminus de la ligne sud-oranaise. L’imagination s’échauffe à penser que pour atteindre la vieille cité berbère dont le mystère a été violé par nos armes, il suffirait de prolonger le ruban d’acier sur quelque cinq cents lieues de pays. Réflexion puérile et saugrenue. Cela viendra pourtant. Lorsque la désastre de la mission Flatters, en surexcitant les passions sahariennes, provoqua l’insurrection du Ouled-Sidi-Cheikh, cette voie étroite, d’intérêt purement stratégique, s’arrêtait à Saïda, limite du Tell. Sans les facilités qu’elle donna pour des concentrations de troupes, le mouve- met peut-être eût gagné Mascara, qui s'agitait. Le souvenir d’Abd-el-Kader n’est point perdu dans la région qui fut le foyer de sa résistance. La sécurité étant à ce prix, on sut faire vite. A raison d’un demi-kilomètre par jour, en huit mois le rail fut poussé jusqu'à Méchéria. Ultérieurement il atteignit Colomb-Béchar, distant du littoral comme Avignon de Paris. Ne croyez pas que ce fût besogne si simple. Les plateaux ondulent entre 800 et 1.500 mètres, par des pentes' considérables. Puis il y a la traversée mouvante du chott Chergui, immense cuvette remplie d’un magma de sable, d’argile, de sel, de sulfate de chaux, que marbrent des moisis-, sures verdâtres, violacées, lie de vin tournée, jaune d’oeuf pourri. Le poste militaire qui en occupe le centre est gracieusement dénommé « le Lieu Vert ». Cela est positif que le Kreider possède un jardin façon, de parler — créé par les loisirs des ingénieux légionnaires. Le Paradou auprès de celui qui donne son nom, en diminutif, à Djenian-bon-Rezg, où se voient un quarteron de palmiers souffreteux et une douzaine de peupliers, fort étonnés de se trouver là. On y montre avec une orgueilleuse tendresse deux planches de carottes et de radis, entre des bordures de cet épinard rosé qualifié tétragone. Auprès de la redoute, des écroulements de boue et de plâtras marquent le site d’un village. Bois, tuiles, briques en avaient été enlevés pour bâtir plus loin Duveyrier, abandonné à son four, dont les matériaux transportables ont été utilisés dans la construction, plus avant encore, de Beni-Ounif. L’intrépide explorateur qui a donné au Sahara sa vie entière se consolerait de n’être plus immortalisé que par une gare en voyant marcher d’un tel pas la pénétration dont il fut l’ardent apôtre. Ces petites stations sont des blockhaus en parfait élat de défense. Précaution inutile, assurent les optimistes. Ainsi pense cette femme hardie qui, dans Tune d’elles, seule avec deux subordonnés indigènes, fait le service de son mari mobilisé. Bled-elbaroud cependant, « pays de poudre », où le mieux est de tenir sèche la sienne. Passé Aïn-Sefra, on est en territoire


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