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Angleterre commande la Méditerranée, de la sienne n’a tiré aucun parti la nonchalante Espagne. Sentinelle armée jusqu’aux dents qui gardait le vide. Par cette brèche — signification du berbère Ouabran —à peine quelques faibles et d’ailleurs désastreuses tentatives de pénétration. Plume au chapeau de sa Majesté Catholique : c’était tout. Lieu d’exil pour les fils de famille qui n’étaient pas sages, pour les grands ayant cessé de plaire. On y allait aussi prendre les eaux, et de modestes thermes à mi-chemin de Mers-el-Kébir doivent leur nom « Bains de la Reine » aux cures réitérées qu’y fit l’infortunée mère de Charles-Quint. Tout fortuit, ce caractère ethnique d’Oran se trouve en accord singulier avec celui que la nature a donné à sa baie. Et sur ces lignes de sévère, de hautaine noblesse, l’Espagne a mis sa signature par la chapelle de la Vierge érigée au bas du fort Santa-Cruz, sur les flancs abrupts du Murdjadjo, témoignage de la dévotion particulière de ce peuple dont la formule populaire de salutatipn est : — « Ave Maria Purissima ». Rien ici de la douceur, de la mollesse d’Alger. Point de feuillages luxuriants, de fleurs éclatantes, de parfums voluptueux. Ce semble que la mer elle-même, entre le cap Falcon et le promontoire d’Arzeu, n’ait point ce rythme berceur qui la balance, indolente, du cap Matifou à la pointe Pescade. Pour s’ajuster exactement à son cadre, il eût été désirable qu’Oran demeurât sombre, taciturne, altière, resserrée entre ses remparts fauves. Mais de la misérable ville, ruinée par un tremblement de terre, qu en 1792 abandonna le gouvernement de Charles IV, disputée ensuite entre Arabes etJTurcs qui lui donnèrent le coup de grâce, notre domination a fait un grand centre commercial, étouffant et poudreux, où les vestiges du passé, semblable à l’hidalgo drapé dans sa cape de pauvreté et d’orgueil, sont submergés par des entassements de bâtisses démocratiques non seulement sans élégance, mais sans luxe, ici où l’on ne vit que pour gagner de l’argent. Elevés au hasard des besoins, sur un site irrégulier et escarpé, elles ne donnent même pas ce qui, faute de style, caractérise les cités modernes : l’unité, l’ordonnance, l’ampleur. Les quartiers riches, qui n’en sont pas plus gais, s’enchevêtrent d’ilôts mesquins ou sordides, uniformément mornes. La pouillerie n’y est point pittoresque. Seul le port y met une animation canaille. Son assiette mouvementée transforme en alpinisme la circulation entre la Marine et le plateau que couronne une gare colossale en contrefaçon — oh! combien ! — d’Alhambra, avec étape sur la terrasse où s’agrafe le Château-Neuf. Neuf, il l’était par rapport au Castillo-Viejo, l’ancienne kasba, depuis rasée; mais les trois tours massives de cette rébarbative citadelle, curieusement plantée en plein milieu de la ville, sont antérieures à l’expédition du cardinal Ximinès, le reste édifié au cours du xvi® siècle. Non moins que son littoral, l’hinterland d’Oran est âpre et dur. Vallonnements brûlés, friches d’argile recuite alternant avec d’immenses champs d’orge et de blé. Et, à perte de vue, des ceps alignés au long des sillons rouges. L’économie agricole est bannie de ces lignes


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