faux, les tonalités se trouveront dénaturées. L’artiste se doit consoler de ses limitations en songeant que les yeux qui n’ont pas bu la lumière africaine, ni celle de l’Orient, sont impuissants a la comprendre. Plus elle est juste, plus elle déconcerte. Qui ne l’a remarqué sur les toilesdes paysagistes algériens? les maisons sont sans consistance; on les croirait d’ouate. Rien de plus vrai, comme si l’inconsistance du caractère se retrouvait dans celle des objets. L’intensité de la chaleur crée une sorte de brume, dans l’extrême-Sud assez dense pour voiler le disque solaire, enveloppant tout d’une atmosphère jaune et sourde, comme de poussière vaporisée. Cette brume^g non pas une buée, l’air étant parfaitement sec a pour effet de décomposer, au sens de la vision, l’argile calcinée des murailles, plus compacte à la vérité que solide, dont ce semble toujours qu’elle va s’effondrer. Elle devient fluide, cotonneuse, d’ouate enfin: nul mot ne saurait être plus expressif. Qu’on ne me reproche point l’empirisme de cette explication qui n’en est pas une. Tels les aspects me frappent, tels de mon mieux je les rends, sans m’embarrasser du comment et du pourquoi. Phénomène qu’à cause sans doute d’une température très élevée j’observe particulièrement à El-Hamel. Un séjour à Bou-Saâda serait incomplet sans une visite à cette maison des Rhamanyia, promise d’ailleurs à un frère du cheikh, rencontré deux ou trois mois plus tôt dans un autre bled. En son cirque de montagnes rousses que strient de failles schistenses curieusement feuilletées, le ksar est perché haut sur un piton abrupt, dominé encore par les vastes bâtiments de la zaouïa. De la grande salle des hôtes la vue embrasse un ample panorama de noble sévérité. Les marabouts s’enorgueillissent fort de leur mosquée toute neuve. Il n’y a pas de quoi. OEuvre en style néo-byzantinE- moins byzantin que « néo » — d’un maçon italien de Tunis, elle reluit de revêtements en déplorables faïences de salle.de bain. Les sculptures intérieures présentent des motifs tout à fait étrangers à la décoration musulmane, confinée dans les figures géométriques et épigraphiques qu’elle sait interpréter avec tant d’art. On y voit des ananas, des pommes de pin, des lézards, des bateaux. Abondance d’ancres et de poissons, facétie perdue pour ces pieux personnages, qui n'y ont point reconnu le symbole d’une des vertus théologales ni l’emblème des premiers chrétiens. Ils m’ont d’ailleurs semblé parfaitement abrutis. Cette famille maraboutique a pourtant donné deux personnalités de valeur : le cheikh Moham- med-hen-Belkacem et sa fille Lella-Zineb, qui lui avait officiellement succédé. La baraka se continue en des enfants blêmes, bouffis;: malsains, pénétrés de leur dignité les figeant dans l’hébétude, comme elle les engonce dans leur burnous. Décidément, la sainteté héréditaire donne de médiqcres,,produits. ? <> ? Ce soir, séance de danse chez Zidana. Etoile réputée, la dernière peut-être à posséder les saines traditions de son art. Même en ces pays immobiles, tout se perd. Elle arrive d’Alger, où son concours avait été demandé pour une représentation au profit de quelque oeuvre de guerre. Fixée ici, riche, elle y tient école et vous entendez bien que sa maison n’est pas uniquement le temple de Terpsichore. Superficiellement informé des choses algériennes, on croit volontiers Ouled-Naïl synonyme des mots divers par lesquels nous désignons ce que, poliment, les Arabes appellent mrah m’serra : « femme libre ». Peut-être les qualifient-ils parfois d’une épi- thète plus suggestive ; mais je né la connais point. Conception inexacte. Toute prostituée n’est pas nécessairement une Ouled-Naïl, ni toute Ouled-Naïl une prostituée. Le plus fort contingent cependant de la corporation est fourni par le considérable groupement nomade ou demi-nomade qui occupe d’immenses territoires entre le Djebel-Amour et les Ziban. Presque uniquement pastorales, ces tribus sont pauvres. Les femmes sont belles — selon le canon de la beauté arabeE* intelligentes et sans préjugés. Les hommes ne s’en embarrassent pas davantage. Le général Daumas, si bien documenté sur les moeurs sahariennes, rapporte que l’austère Abd-el-Kader ayant prétendu abolir la séculaire coutume d’offrir aux voyageurs ses épouses et ses filles, une affreuse disette survint. On y vit un signe de la désapprobation d’Allah (l’Omnis- cient, l’Omnipotent, l’Eclairé, l ’Informé, II est Unique!) et c’en fut fait de ce passage de vertu. C’eût été tuer la poule aux oeufs d’or. Car ainsi l’ambiance locale est-elle favorable au développement professionnel de cette particulière vocation. Par légions ces dames s’établissent dans les ksour du désert ou les villes du Tell pour gagner leur vie ainsi que celle des leurs, ne perdant point le contact, même si elles sont sans esprit de retour. Selon les facultés de chacune, la chorégraphie est l’accessoire ou le principal du métier. Si sur les gynécées mon sexe me permet d’être mieux informée, sur ce monde spécial par contre les hommes en savent plus long que moi. Les vétérans de la vie algérienne m’assurent qu’on y trouvait naguère les seules femmes arabes avec qui, sauf rares exceptions, il fût possible de causer, par là exerçant dans les sphères indigènes une assez notable influence. Mais tout dégénère et ce type a à peu près disparu. L’usage de l’alcool y est pour beaucoup. Que dire d’une civilisation qui corrompt l’immoralité même?.., . Ce qu’il en est de Zidana, je ne sais. Belle encore, de ce modèle lourd qui est le leur, de la majesté, certaine noblesse d’allure s’alliant à quelque chose de crapuleux. La gravité de la courtisane arabe rachète par une sorte de hiératisme son ignominie essentielle. Et cela l’apparie dans quelque mesure à ce que nous savons de celles de la Grèce, parmi lesquelles n’en était-il
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