Donnez de l’eau au désert, il vous la rendra au centuple. Le monde est vieux, dit-on-; n’en croyez rien. Il v a encore'de beaux jours pour l’activité des générations. Tout à l’extrême pointe de Hodna, Bou-Sâada doit son charme à l’oued frais descendu de la montagne et qui le baigne en permanence. Analogue à celui d’El-Kantara, torrent encaissé entre des berges sur lesquelles se penche la verdure des jardins. Comme partout où de l’eau bleue clapote sur des cailloux blancs, le spectacle des lavandières est inépuisable de grâce. Chaque région affectionne une particulière harmonie de couleurs pour l’accoutrement féminin : ici vert et rouge, là rouge et bleu, ailleurs bleu et noir, noir et vert, rouge et jaune. A Bou-Sâada, c’est le rouge et violet. Tous ces lainages accrochés aux buissons donnent des parterres de fuchsias. Chaque trou dans la pierre fait un petit bassin rempli de mousse savonneuse et c’est surtout, j’imagine, pour le plaisir de la piétiner qu'on se livre à ces orgies de blanchissage, la propreté n’étant, par ailleurs, vertu dominante. Les hommes ne dédaignent point de s’y livrer, et pas seulement les serviteurs nègres ou les « meskines ». Voyez ce bel Arabe, décoratif et digne, drapé dans un burnous azur. Il se déchausse, se dévêt, garde seulement sa gandoura qu'il serre aux reins avec un mouchoir, pans relevés découvrant les cuisses. Puis il jette ses: vêtements à l'eau, nonchalamment les savonne, les tord. En lézardant au soleil il attend que ce soit sec, se rhabille et rentre chez lui manger le couscouss. La journée a été employée. L’eau, l’eau : préoccupation chère et constante; l’eau : objet de dilection et de vénération. J’étais allée jusqu’aux dunes qui, vers le bled infini, font un rempart à l'oasis. Un grondement se fait entendre, l’or de l’atmosphère tourne au cuivre, déjà nous soufflètent de grosses gouttes brûlantes. L’aimable administrateur civil qui veut bien me faire les honneurs de son territoire m’engage à presser le pas. Il s’agit de repasser l’oued. Sur un pont?... Vous n’y pensez point. Même permanente et copieuse, une rivière saharienne n’est en somme qu’un lit désordonné où serpente, coulant en filets, s’attardant en flaques, un ruisseau aisément franchi d’une enjambée, de deux au besoin, en s’aidant d’une pierre. Dix minutes plus tard nous aurions été séparés de la ville par un torrent d’un abondance et d’une violence ne nous laissant d’autre alternative que de passer la nuit assis dans le sable. Cela a duré une demi-heure à peine. Aussitôt le bleu reparu dans sa pureté ardente, tout Bou-Saâda s’est précipité vers l’oued. Des grappes blanches s’accrochent aux murs de soutènement des jardins, aux rampes qui en descendent. On regarde bouillonner un flot limoneux : l’eau, l’eau bénie et féconde, l’eau, source de vie. Chacun dans son coeur chante l’bymne de l'eau. Et demain, sous les palmiers lavés, rafraîchis, rajeunis, heureux, les bourgeons des grenadiers auront éclaté, les figuiers seront couverts de feuilles d’un vert tendre. C’est à vue d’oeil littéralement que, sous cette eau toute imprégnée de soleil, s’accomplit, impétueuse, généreuse, la poussée de la végétation. Pour en constater les progrès, M. Dinet vient me chercher. En bon oasien il possède son jardin, où il a édifié un petit pavillon en forme de kouba. Nous autres, nous voulons le jardin autour de la maison. Chez les Arabes, les maisons s’agglomèrent entre des murailles, pressées comme les grains d’un épi. Et, tel le Marseillais à sa bastide, l’Algérois à son cabanon, on va passer la journée dans son jardin. Prétexte à sortir. On écoute'les pigeons roucouler et chanter les rouge-gorge; on regarde mûrir les fruits, fleurir les fleurs, voler les mouches; on respire les roses, les jasmins, l’odeur fraîche de l’eau; on se baigne dans la lumière; on fait la collation. Ici, Sliman-hen-Brahim fait des vers, son ami les traduit. Ceux qui tiennent à voir des choses plus définies peuvent étudier la fécondation artificielle des palmiers. Cet arbre est dioïque. Les sujets mâles portent des fleurs munies d’étamines seulement, formant grappe qui, avant la maturation du pollen, s’enferme dans une spathe. S’en remettre au vent du soin de porter la poussière fécondante sur les sujets de l’autre sexe serait précaire. On sépare les brins et les insère, par incision en forme de greffe, dans l’ovaire des régimes femelles. Cela se passe tout au sommet de ces troncs élevés et flexibles, non sans donner à trembler pour les opérateurs : des nègres souvent, agiles autant que les singes, leurs frères. Ainsi la proportion des arbres improductifs peut-elle être considérablement inférieure à celle des fructifères. Les palmiers mâles sont les coqs du règne végétal. On ne conserve que l’indispensable et le surnombre est abattu pour le bois. 9 9 ? ' Bou-Saâda est dans la plaine, que le ksar domine avec fierté. Mais plaine qui assez brusquement se relève contre un massif aux lignes médiocres, devant tout à la puissance de ses colorations. Remontant l’oued, au long d’un taillis de lauriers-roses, c’est une promenade délicieuse d’aller jusqu’au moulin Ferrero. Façon de kasba agrafée à une butte en surplomb, certaines de ses pièces sont taillées dans le roc vif. La chute qui l’actionne dégringole sur des grès sanglants. Tout à l’entour les terres sont rouillées du minerai de fer qu’elles recèlent. Mais en bordure du torrent, une ceinture de peupliers argentés enferme un long verger éclatant de fleurs parmi les cultures potagères. Suivant à cheval la route de Biskra, qui par d’étroits défilés coupe la chaîne du Zab, ce sont d’autres aspects de cette nature tourmentée et colorée. Polyphonie éclatante à la fois et subtile : tons orangés, carminés, vineux, s’adoucissant au rose de pêche, jaunes stridents qui s’assourdissent en bistre, violets intenses se rabattant en mauve -gide tout, même des gris morts, illuminés soudain d’une coulée corail. De tout hormis du vert. Plus encore qu’ailleurs, ici on constate qu’il n’est vide ni nudité là où régnent lumière et couleur. Pour surprendre le secret de cette palette somptueuse et fine, ce n’est pas trop de la vie d’un peintre. Les tonalités encore, on y arrive; mais c’est l’éclairage. Et si l’éclairage est
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