bent-Djelloul méprisa toujours cet homme sans naissance et à la première occasion se mit sous la protection de nos troupes. Aventurier qui nous donna beaucoup de fil à retordre. A Guémar il massacra quelque peu et pilla consciencieusement. Pour se débarrasser de lui, les Souâfa payèrent de fortes rançons. Commerçants avisés, ceux de Kouinine, Taghzout et Zgoum — appartenant au çof Ben-Gana — récupérèrent leur argent en faisant la commission de cartouches de chassepot et de poudre anglaise fournies par les juifs tunisiens, qui récompensaient ainsi la France d’avoir fait des citoyens de leurs frères d’Algérie. Mais les gens d’El-Oued, Debila et Guémar — tenant pour le çof Bou-Okhaz — prétendirent s’opposer à ce tralie, de quoi résulta un violent combat. Ne vous hâtez point à conclure que les Bou-Okhaz nous fussent fidèles, ni hostiles les Ben-Gana. Avec les Arabes il n’en va jamais aussi simplement. Ceux-ci pas plus que ceux-là n’étaient ouvertement insurgés; tacitement l’esprit était le.même. Les uns comme les autres louvoyaient dans ces réseaux d’intrigues confuses, de violents antagonismes personnels, d’ardentes compétitions d’influences, d’âpres.conflits d’intérêts qui constituent toute la vie morale du Sahara, tenant la place des idées générales absentes, ouvrant un champ infini à la duplicité, à la mobilité, à l ’astuce de la race. En fin de compte, le çof de Taghzout dut payer à celui de Guémar vingt-cinq mille francs qui se trouvèrent encore, en or et en douros, cachés sous des amas de loques au fond des coffres en bois peint. Les actes de Bouchoucha en somme n’étaient que du brigandage. Ayant demandé à la communauté mozabite de Ouargla trente mille francs de tribut, comme dix mille seulement avaient pu être réunis, bon prince, il empocha la somme... après quoi il fit égorger les notables pris en otages. Il sut pourtant mourir avec noblesse. Devant le conseil de guerre, il dit : « Je sais que j’ai mérité la mort. Je ne la crains pas. Condamnez-moi : vous ferez bien. Mais pour l’amour de Dieu, épargnez-moi toutes vos questions inutiles et fusillez-moi vite ». On ne fit pas droit à ce voeu si légitime et avant d’être mené devant le peloton d’exécution, il fut harcelé quinze jours durant par des chinoiseries procédurières auxquelles il n’entendait goutte et qu’il n’écoutait pas. La fô-ô-ôrme... Période tragique. Le décret Crémieux — déterminante non pas unique, mais principale du soulèvementB- était du 24 octobre 70. A l’heure où la France perdait sa plus belle et dernière armée, des préoccupations plus graves, semble-t-il, s’imposaient à un gouvernement s’intitulant « de la défense nationale »... Le 15 mars suivant, les premiers coups de fusil partaient dans la Medjana. Le Mokrani avait été assez chevaleresque pour attendre que la France fût délivrée de l’invasion. Les derniers furent tirés le 20 janvier 72, à 760 kilomètres dans le Sud. 200.000 indigènes avaient pris les armes. Pendant le premier mois on demeura impuissant devant le pillage, l’incendie, le massacre, qui s’arrêtèrent bien juste à l’entrée de la Mitidja. On n’avait sous la main que 4.000 hommes de troupes algériennes demeurées fidèles, 3.000 joyeux et quelques milices qui déployèrent beaucoup de courage. Les contingents envoyés par petits paquets finirent par donner 80.000 hommes. Mais, sauf plusieurs bataillons de garde mobile possédant certaine instruction militaire, ce n’étaient que des recrues à qui il fallait enseigner jusqu’à la signification des sonneries. En cinq ou six semaines elles étaient pétries par ces hommes d’énergie et de décision ; les Saussier, les Lallemand, les Cérès, et jetées contre les rebelles. Le bachagha, on le sait, fut tué *. Plus ardent encore à fa lutte, son frère Bou-Mezrag finit par être pris, trouvé demi-mort de soif dans le désert. Grâcié et déporté en Nouvelle-Calédonie, sa peine lui fut remise en récompense de son concours dévoué lors de l’insurrection des Canaques en 1879. Mais il voulut y finir ses jours. Son orgueil se refusait à retourner au pays où était consommée la déchéance des siens. Ce qu’avait été l’importance des Ouled-Mokrane se mesure au fait que leur chef encaissait jusqu’à 700.000 francs de redevances, ayant d’autre part à soutenir un train de baron féodal. Le bachagha fut le dernier de ces grands-vassaux arabes dont, malgré l’exemple d’Abd-el-Kader, cet utopiste qu’était Napoléon III avaitrêvéle maintien. Leurs fils ne sont plus que des fonctionnaires. Quant à la population kabyle, elle n’est pas remise encore des rigueurs fiscales de la répression. Les terres confisquées pour une valeur de dix-huit millions — moyenne de quarante francs l’hectare — plus de trente millions payés en espèces, voilà de quoi inspirer des réflexions pour l’avenir à des gens qui font meilleur marché de leur vie que de leurs biens. Les exécutions d’ailleurs et les déportations furent nombreuses. Le meurtre et la rapine, on est prié de le considérer, avaient élé le mobile des masses, voire de certains chefs, plus que le souci, légitime en somme, qui en guidait d’autres, de nous jeter à là mer. Peut-être n’est-il pas hors de propos de le mentionner, la plupart des avocats jugèrent ingénieux de défendre leurs clients en faisant le procès des bureaux arabes. C’est le lapin qui avait commencé. L’autorité civile n’en eut pas moins recours à ces officiers,.depuis longtemps d’ailleurs copieusement outragés, pour des besognes nullement militaires et non pas minces. Désarmer les tribus — plus de 200.000 fusils à récupérer — faire rentrer les amendés; établir les états des colons et indigènes fidèles ayant droit à des indemnités ou au prix du sang -Bprès de vingt millions furent répartis entre dix mille familles -Haider l’administration des domaines à liquider la situation territoriale en dégageant l’individu du séquestre collectif afin de reconstituer la propriété privée, établie sous le régime tribal de façon confuse et obscure ; négocier avec les tribus des compensations pour le rachat de leurs terres; déterminer les centres de colonisation et en assurer la création de tout cela leur connaissance des gens, des choses, de la langue les faisaient auxiliaires indispensables. En sorte qu’après avoir maîtrisé la révolte, ce qui ressortissait de leur métier, ces sabreurs ont été des instruments de pacification et d’organisation. 1. II fut enseveli avec lès honneurs militaires au cimetière musulman de Mustapha-Inférieur.
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