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avec un art naïf, ornements, oiseaux, poissons, voire bras et jambes, même en raccourcis savants. Le cheikh de Guémar, septuagénaire d’apparence ascétique, à l’encontre de ses pareils, passe pour fort intelligent. Il s’excuse sur ses pieuses occupations de ne point partager la diffa servie dans une vaste salle que meublent de nombreux lits de fer. Le personnage maraboutique qu’il a délégué pour en faire les honneurs — son embonpoint me le fait présumer être d’importance — s’acquitte de ce devoir en s’empiffrant à vous donner une indigestion rien que de le regarder. Signe particulier : il mange avec ses doigts tdus les plats, même l’omelette. Dédaigneux de .la serviette pliée auprè? de son assiette, entre chacun il tient à l’air ses bonnes grosses mains luisantes de graisse jusqu’au moment où, après le méchoui, on passe l’aiguière. Est-ce ici qu’à je ne sais plus quel général les oranges ont été présentées dans certain récipient rebondi, destiné à tout autre usage, dont un mercanti facétieux avait vendu à la zaouïa une douzaine, énormes et somptueux, comme le dernier cri européen en matiète de compotiers? Les temps ont marché et j’atteste n’avoir rien vu de pareil. L’héritier présomptif du marabout fait de touchants efforts pour apprendre lé français. Bien qu’orné d’une large barbe au milieu du visage, il a pour professeur, d’ailleurs fantaisiste, le fils du caïd, lequel a fréquenté l’école française et, désireux d’entrer dans l’armée, se propose de poursuivre ses études au lycée d’Alger. En mon honneur Si Bou’hari a écrit au tableau noir une phrase. Je prends la liberté d’y corriger une faute d’orthographe. Il est ravi. Tant bien que mal il nomme chaque objet qui se présente, ou bien me demande le mot, le répétant laborieusement et riant comme un enfant quand il a réussi à le prononcer. Guémar doit quelque prospérité au tissage de tapis haute laine, de couleurs éclatantes. Il n’y paraît guère. Autant nous sommes enclins à faire montre de l’argent que nous n’avons pas, autant l’Arabe est soigneux de dissimuler celui qu’il possède. Nous tenons à l’apparence ; lui tout au rebours. Tant par incurie qu’à cause de son peu de besoins et de l’extériorisation de sa vie, pas davantage ne sacrifie-t-il au luxe intime. Du numéraire entassé, voilà sa conception de la fortune. Rien toutefois de la cassette d’Harpagon. Car non seulement il est imprévoyant et prodigue, mais, par ostentation, il prêtera cent douros comme un sou à qui les lui demande à haute voix au milieu du marché. Une petite page d’histoire qui s’est écrite dans ce bled-ci caractérise à plusieurs points de vue sa psychologie. Le principal fauteur des troubles du Sud en 71 fut Mohammed-ben-Tounsi-ben-Brahim dit Bouchoucha (le Chevelu). Originaire du Djebel-Amour, emprisonné pour vol, au sortir du pénitencier il était allé au Figuig, puis dans le Touat, où, par des pratiques de thaumaturgie, il avait acquis assez d’empire pour pouvoir se faire reconnaître chérif. Son prestige s’était accru d’un mariage auquel fut contrainte une descendante du grand marabout Sidi-Cheikh. Fatma


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