les bêtes, je rends visite à la femme du gardien, invisible dans son antre où, de la cour, on accède par une porte dégondée que chaque fois, s'évitant ainsi le travail de la remettre d’aplomb, patiemment on déplace et replace. A l’extérieur s’accole au mur un petit courtil fait de fagots épineux. Quelquefois des poules; mais pour les nourrir il faut être riche. Des figues distribuées aux mutchachos déguenillés, morveux et peu amènes me valent ce sourire maternel identique sous tou lés latitudes et toujours touchant. En route. Et le jour d’aujourd’hui sera comme celui d'hier, comme celui de demain. L’observation cependant, attentive à animer ce vide, s’aiguise. On distingue d’anémiques petites fleurs mauve pâle, écloses aras du sol, la force leur manquant pour pousser plus avant. D’animaux, point, hors le khranfoussj le cancrelas des sables, qui en émerge puis s’y renfonce, ses antennes faisant tarière. Il en est d’invisibles : des poissons qur en cetèe-eaison dorment au sein du sable chaud. Ne dites pas que ce sont des lézards, puisque j’en ai vu un, vivant, quoique dans son coma de six mois, qui fait partie d’une collection ichtyologique. Partout au désert les oiseaux sont rares. Que si un indigène en voit un traverser sa route, il le tient pour messager d’Allah, chargé de lui rendre courage. Ici moins qu’ailleurs. Autour des bordjs seulement, où elles trouvent des miettes — mais où nichent-elles? — de ces charmantes bergeronnettes gris de perle qui volent peu et courent vite, vite, laissant sur le sable l’empreinte de leurs petites griffes. Nullement sauvages, on leur mettrait quasiment un grain de sel sur la queue. Mais voilà, tournoyant dans une gloire d’or, un vautour. Rara avis aussi. Son instinct sinistre lui a signalé, de très loin, quelque charogne. Il doit y avoir par ici des fenecs, ces jolis tout petits renards couleur de sable blanc, qui, tant bien que mal, s’apprivoisent, en dépeuplant la basse-cour. A moins qu’ils dévorent les bergeronnettes, je ne vois pas de quoi, en liberté, ils se nourrissent. Mais avez-vous entendu ce coup de fusil? A grande distance peut-être. Dans la sonorité de ce silence, on en tressaille. La chasse pourtant est rigoureusement interdite, même — pour des motifs assez clairs -M^la vente des munitions. Bah ! le plomb se trouve et l’indigène possède tous les éléments pour l’antique formule de la poudre : 75 0/q de salpêtre, 12,5 0/0 de soufre et autant de charbon de bois. On va, on va, dans les endroits plats somnolant sur la selle. Parfois on traverse des « pâturages » de drinn dont s’élève le murmure des tiges sèches et creuses entrechoquées par la brise. Chanson du désert comme les marais ont celle des roseaux. De loin en loin on se trouve dans des dépressions demi-argileuses avec traces du grès très friable, gris-bleuâtre, qui a formé tout ce sable, comme, en infiniment petit, celui de la forêt de Fontainebleau. Et voilà qui justifie les films sahariens tournés dans les gorges d’Apremont. Puis les dunes recommencent à s’élever, à déferler, énormes, sans fin. De combien d’ossements elles sont la sépulture. Une armée de Cambyse y a été ensevelie. Poursuivant le sultan de Touggourt, la colonne Desvaux a couvert en trois étapes cette route réputée infranchissable. Les troupiers juraient tout ce qu’ils savaient et déclaraient : « Il faut que le bon Dieu ne soit jamais venu par ici ». Nous allons, nous allons. Tombons-nous sur des traces, la sagacité trouve sujet à s’exercer : un chameau, deux chameaux, cheval, âne ou mulet, les pieds nus ou chaussés d’un homme, de deux. On fait dés rencontres. Saluts échangés et on passe. C’est ici une route commerciale entre l’Oued-Rir’h et le Djérîd tunisien. Les SouâfaH malgré soi on cède à la vulgarité de cette calembredaine : justement ainsi nommés les habitants d’une région oh! combien altérée! — les Souâfa sont grands voyageurs et les plus intrépides piétons de l’Afrique du Nord. Ce n’est pas peu dire, car vous ne trouverez pas plus infatigable que l’Arabe, quoique tellement paresseux. Le Souâfi se vante de pouvoir abattre ses trente lieues en vingt-quatre heures. Tout bon Bédoui d’ailleurs, muni de vingt-cinq kilos de couscouss et autant de son poisseux conglomérat de dattes, portés par un bourricot, entreprendra en deux mois la traversée du Sahara, depuis le golfe de Gabès jusqu’à Marrakech. Pour de plus courts trajets, dont la longueur encore nous épouvante, vivres dans son capuchon, couteau à la ceinture, matraque derrière la nuque, où il noue ses mains, voilà tout l’équipage. Son pas, égal, rapide, fortement appuyé, est dit khazel-elrkelb « le trot du chien ». Toute la question est de boire. Les Touareg sont entraînés à s’en passer jusqu’à cinq jours, les Chaâmba seulement trois. Chose incroyable : ici on se retrouve. Au bordj de Moniat-el-Caïd, un cavalier en voyage demande à me saluer. C’est un Laârba, tête boucanée de forban bon enfant. Il m’a vue dans cet autre désert et sait que je suis amie de son bachagha. Si nous pouvions causer directement, nous échangerions les potins laghouatis. Animation, relative, très relative, qui ne dure que d’octobre à mai. Pendant cinq mois, c’est l’enfer avec toutes ses flammes. Le courrier est seul à passer, quelquefois un officier en tournée de service, allant de nuit. L’un deux m’a dit avoir ainsi — Tahar était-il son guide? ■L chevauché sans répit du coucher au lever du soleil, pour se retrouver au point d’où il était parti. Heureux encore quand on n’est pas pris dans un de ces terribles coups de sirocco, ici devenu ce que nous appelons le simoun — pourquoi, puisqu’en arabe il a nom khamsin ? C’est alors que, sous sa poussée furieuse, se produisent les grands déplacements de dunes. La tourmente d’hiver les modifie parfois. Mais le passage du vent étant normalement du sud-est au nord-ouest, un va-et-vient s’établit qui en laisse le graphique général sensiblement constant. J’en ai expérimenté une : ce qui s’appelle un adjej. Chose qu’on est bien aise d’avoir vue pour ne plus la revoir. L’atmosphère s’embue d’une nuée blafarde à travers laquelle le disque solaire paraît en façon de pain à cacheter jaune, tel la pleine lune à son lever. Ce voile pulvérulent ne laisse filtrer qu’une lumière sourde, comme si la tamisait du papier huilé. Des rafales aigres, rageuses, lancinantes passent en flèches. Il ne fait pas froid; pourtant elles nous glacent les
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