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y. i l LE S DONES DU SOOF 161 trois tapis superposés, une couverture piquée en indienne verte, un coussin long recouvert d’une taie de fine toile blanche brodée et festonnée. Puis ils viennent partager son repas. Je m’attarde à regarder le soleil disparaître dans une froide lumière orange et bleue. Un bref passage, infiniment triste, de jaune blafard, et c’en est fini du crépuscule. Au ciel clair encore brille d’un éclat vif la conjonction de Vénus et de Jupiter. C’est l’année, revenant à longs intervalles, où se célèbrent leurs noces. Tout s’assombrit, sans pourtant qu’il fasse noir. Ce semble que les ténèbres s’éclairent de rayons pâles, lueur irréelle venue d’on ne sait quel au-delà. Je comprends à présent ce que m’avaient dit des voyageurs, des soldats : qu’il faut avoir campé au désert pour savoir ce qu’est la pureté, la sérénité, la majesté de la nuit. Est-ce un frisson moral qui passe, ou bien vient-il de la fraîcheur qui tombe? Je rentre. A la lumière vacillante d’une bougie fichée dans une bouteille, sans grand appétit, je dîne. Dans la cour, faiblement éclairée par un feu de broussailles, Tahar et Lamsi mangent le couscouss, augmenté de mes restes auxquels ils font honneur, l’un noblement, l’autre avec voracité. Le cheval broie son orge, le mulet tique, les chameaux accroupis ruminent. Le chien, blanc et hirsute, assis sur mon seuil, me considère, attentif. 11 ne se laisse pas caresser et ne prend pas de ma main les os que je lui donne. Le gardien m’apporte le café. Je ris des personnes graves qui décrètent : « N’en buvez pas le soir : cela vous agiterait. » Ici, tout au long du jour on en absorbe. Mon record toutefois, il m’en souvient, a été en Turquie : vingt-sept tasses bien comptées, au vrai des dés à coudre. Lassitude profonde. La cigarette s’éteint entre les lèvres. Cependant, tandis que tout s’endort, le sommeil me fuit. N’en accusez point, personnes graves, le café, mais le silence -Sc e silence oppressif qui vous étreint et vous pèse comme une chape de plomb. Entendre le silence... ne croyez pas à un vain carambolage de mots. Le silence à cette suprême puissance, le silence fait autour de vous par une immensité absolument vide, on l’entend, je vous assurp, et il tient éveillé, inquiet. La fatigue enfin l’emporte. Des aboiements me réveilleront : le marchand de Biskra qui, la lune levée, se remet en route. Au premier moment on se dit: « Où suis-je? » Puis : « Qu’est-ce que je fais ici? » Et, de nouveau écrasé, on retombe au néant. s ? $ Le réveil, dans ces cellules, manque de gaîté. Faute de fenêtre, pour faire sa toilette, très sommaire, il faut entrebâiller la porte. Mais quel est l’indiscret?... Sous une poussée les chèvres entrent, effrontément. Familières, elles cherchent les miettes du repas. Si on n’y prenait garde elles dévoreraient éponges et savon. Paquetage, chargement. Il est bon d’y avoir l’oeil : l’imperturbabilité de Tahar ce soir remplacerait mal ce qu'il aurait oublié. Durant qu’on selle 21


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