de celui du pigeon voyageur. Le jour il consulte le soleil, la nuit les étoiles. Orientation qui lui est particulière : il place la polaire à l’est, la Mecque au sud. Le tout est de s’entendre. Mais quand il y a des nuages?... Bien qu’exceptionnellement, cela arrive. Eh bien! si ne lui suffit son obscure intuition, il dort. Dormir : la grande affaire de l’Islam, endormi à travers les âges. De celte intuition voici un exemple topique. Tahar-ben-Brahim, mon escorte et mon guide, est un mokhazni de toute confiance. Rousseau et chafouin, une vieille redingote noire d’instituteur par-dessus sa culotte de toile bleue soutachée de blanc, appareil peu martial pour un ancien brigadier de spahis, on ne reconnaît pas en lui le type arabe ni kabyle. C’ëst qu’il est mohadjerid. Ainsi sont qualifiés les descendants de cent-quarante-six familles juives naguère converties à l’islamisme manu militari. Ils sont bien excusables de n’être que de tièdes musulmans. Aussi monTahar ne se fait-il pas faute de siffler son litre à la barbe du Prophète. Il ne pouvait boire mon vin, car je ne m’en étais point embarrassée, mais sa djebira récélait des choses mystérieuses. Tant il y a que nous chevauchions lentement, son burnous en tête, point de direction, moi comme hypnotisée par la grande lumière diffuse, de pureté absolue entre la pureté jaune du sable et celle, bleue, du ciel. La chamelle allait de son côté, tendant son cou râpé pour arracher au passage quelque herbe — on ne sait quel nom donner à ces choses si peu herbacées — qu’elle mâchait bruyamment de ses affreuses longues dents déchaussées et jaunes. Ne croyez pas dépourvu de sélection alimentaire cet animal à la fois sobre et vorace. Il renifle dédaigneusement certaines de ces touffes grises et sèches. Quelle prodigieuse puissance a la vie végétale pour s’accommoder du terrain le plus stérile qui soit. Tout en pâturant et en marchant avec ces déhanchements de danseuse, unique grâce de sa cocasserie, la chamelle, de fois à autre, attache sur moi ses petits yeux en boule de loto, bêtement sagaces, avec mine de dire : « Si tu ne m’avais pas, que ferais-tu? » Nous allons. A des propos échangés entre le cavalier et le chamelier je ne prête d’abord aucune attention et pour cause. Toutefois je finis par m’apercevoir qu’ils sont en désaccord. Avec véhémence Lamsi semble contredire Tahar, lequel répond par le juste mépris d’un fonctionnaire pour un va-nu-pieds. Nous allons, nous allons. Ai-je la berlue?... Je vois un bordj. Ferdjane, déjà? Il n’est pas dix heures, nous nous sommes mis en route à huit et l’étape est de quelque cinq lieues. Tahar, interrogé, bafouille des paroles confuses. Je regarde mieux. Sans doute, ici tout est pareil... Ce profil cependant ne m’est pas inconnu. Remarque dont je fais part au mokhazni. J’arrête mon cheval, lui sa mule. Le petit Chaâmba rit silencieusement de toutes ses dents de louveteau. Enfin, l’aveu : — Tu as raison:.. On est revenu à M’Guitler: Charmant. Mais que sert de se fâcher? Vu la faible distance, je décide d’y retourner pour déjeuner. Avec surabondance de détails oiseux autant qu’imprécis, Tahar m’explique que, depuis son dernier voyage, un tassement s’est produit, en sorte qu’il a pris le Sililet-es-Sollhan pour le Sifilet-es-Youddi. « Sabre du Sultan », < Sabre du Juif » : noms qui vont bien à ces crêtes affilées comme des lames. A tout péché miséricorde. De nouveau en selle. Le soleil tape dur. On s’engourdit, les yeux clignent et .se ferment de la reverbération des sables. On va, on va. Tahar me tire de ma somnolence en me criant de l'attendre : il s’éloigne pour lire la distance aux poteaux télégraphiques. Pour me réveiller je mets pied à terre. La bride rabattue par-dessus sa tête et laissée pendante, ainsi que tous ses congénères le cheval demeurera se croyant attaché, parfaitement immobile. Poulains, on les dresse à cela en se tenant assis à leurs pieds et, s’ils tirent, imprimant une secousse qui leur déchire les barres. Le mokhazni revient. Il paraît pérplexe. Colloque animé avec Lamsi. Aurions-nous derechef perdu la piste? Probable, car dans le flux de paroles du petit nomade, je distingue, appuyées du geste, celles-ci dont par hasard la signification m’est connue : — Chouf el trék. (Vois le chemin) Je commence à la trouver mauvaise. Mes vives objurgations m’attirent de mon guide cette réponse, d'un ton de.suffisance, qu’il connaît le Souf comme sa poche, tandis que jamais ce « gosse » n’a fait le voyage. Cependant je scrute l’horizon. — Ecoute, Tahar... Je n’ai pas l’habitude du désert. Mais je sais que notre direction est droit à Test. Or nous marchons en plein vers le couchant, même qu’il commence à nous aveugler. Force lui est bien de se rendre à l’évidence et il consent, mais de quel air offensé, que Lamsi prenne la tête. Sauvés, mon Dieu!... Nous nous sommes appuyé une bonne douzaine de kilomètres supplémentaires. Mais nous gagnons le bordj avant la nuit. Cesbordjs, ils sont sinistres. Sur de petits plateaux, un massif blockhaus carré en pierre et ciment, hautes murailles percées de meurtrières, des saillants, chaque angle coiffé d’une coupole basse. Auprès, le puits. Et rien d’autre, rien. Cependant c’est le gîte, c’est-à-dire l’eau, le feu, l’abri, la satisfaction du besoin de se blottir pour la nuit qui fait à l’animal le plus sauvage chercher un repaire. Le gîte... pour comprendre toute la valeur du mot il faut songer qu’entre celui qu’on a quitté, celui où on arrive, celui où demain on se rendra il n’y a rien, rien que la faim et la soif. Il faut avoir, vers la fin de l’étape, au jour déclinant, ressenti cette angoisse, en dépit qu’on en veuille rire, angoisse de l’immensité, de la solitude, du vide. Alors, quand au loin apparaît le gîte, tout petit, oh ! si petit dans l’océan de sable, alors, je vous assure, on ne fait pas les malins. Franchie la lourde porte qui ce soir sera soigneusement barrée et verrouillée — contre qui? t= c’est la cour de tout caravansérail. Les chambres, des cubes en maçonnerie, parfaitement nus. Celle réservée aux officiers, qui est la mienne, comporte une table de bois brut, deux chaises de fer, un chevalet pour la sellerie. Le gardien est venu me tenir l’étrier. Vieux spahi
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