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far, esclave affranchi pour prix de son apostasie, a fait construire une de celles subsistant dans la Ivasba. Et ce dey Mustapha, dont la demeure, intacte, aujourd’hui la Bibliothèque, est, avec le « palais de la fille du Sultan», devenu l’archevêché, la plus belle des maisons mauresques d’Alger. Et ce Flamand aussi, qui par altération de « puits du réïs Mourad », a donné son nom au charmant village Birmandreis. Combien d’autres. Ce serait une histoire singulière à reconstituer, et atroce, celle de ces aventuriers exécrables, souvent grands marins et hommes de gouvernement, beaucoup simples bêtes de proie et de scélératesse, quelques-uns uniquement abjects, tel Caïd-Mohammed, juif converti au catholicisme, puis derechef renégat, se distinguant par sa fureur contre les chrétiens — tous rapaces, jouisseurs, débauchés et cruels. Figures parfois de psychologie curieuse, ainsi Euldj-Ali-el-Fortas « Le Chauve», Calabrais qui conquit Tunis et combatit à Lépante, dont on croit qu’il demeurait en son particulier attaché à la foi de ses pères, et d’aucuns cependant lui attribuent le martyre do Géronimo. Ne lui fallait-il pas cacher son jeu ? Certain vieil ami que j’ai, d’esprit paradoxal, prétend que celte engeance tarée, mécréante et cynique n’est point perdue. Transformée seulement, moeurs adoucies par l’amollissement des temps, avec en moins le courage physique, mais d’identique mentalité, elle survit, assure-t-il, particulièrement prospère sur la terre algérienne, dans les aigrefins de la spéculation et de la politique. Je ne le dis pas, mais n’y contredis point. Cette Bégence d’ailleurs ne fut jamais à proprement parler un Etat organisé. Au vrai, association de bandits, ses régimes successifs de beylerbeys, de pachas triennaux, d’aghas, en scission avec la Porle, puis deys, rivalisent de faiblesse et d’instabilité. Elle se débat dans le sang comme dans la boue. Menu fait entre mille relaté par le chroniqueur Mohammed-Seghir. «Sur ces entrefaites® c’était au xviii® siècle — le dey mourut assassiné par un derviche qui avait caché un yatagan sous son burnous noir. 11 était à ce moment entouré de ses principaux officiers. Tous dégainèrent et se jetèrent sur le meurtrier. Mais chacun d’eux voulut profiter du tumulte pour se défaire de ses concurrents, en sorte qu’ils s’éntretuèrent tous les sept. C’est ainsi que fut nommé Baba-Ali-bou-Sebaâ. » Lorsqu’on porta l’investiture à ce vieux janissaire maboul — ceci n’est point de l’argot, mais de l’arabe— on le trouva sur le pas de sa porte occupé à saveler ses bottes. Puis c’était les tribus qui se délassaient de leurs propres querelles pour lutter contre l’élément turc. Les Kabyles ravageaient laMitidja. Ils portaient leurs déprédations jusqu’aux portes d’Alger. En ces occasions, le pal sévissait avec intensité, les têtes coupées pourrissaient aux cré- naux, les chefs étaient écorchés vifs et de leur peau bourrée de paille on façonnait des mannequins exposés sur les remparts. Les haines confessionnelles s’en mêlaient. Née du mysticisme arabe, la doctrine soufiste, qui a engendré les confréries religieuses, se dressait contre le matérialisme de l’islainismo ottoman. L’anarchie avait pour cortège la famine et la peste, les invasions de sauterelles, les tremblements de terre. Et toujours le lupanar restait debout. L’impuissance de la chrétienté à le jeter bas tenait tant au manque de cohésion des efforts qu’aux difficultés de cette opération militaire qu’est un débarquement. Ce n’était pas faute d’y tâcher. Echecs de Diégo de Vega, de Santa-Cruz, de Moncade. Heureux contre les pirates bou- giotes, les Espagnols avaient pris l’ancienne capitale hammadite et l’occupèrent trente ans. Une grandiloquente inscription au seuil de son imposante citadelle pare Charles-Quint du titre d’Afri- canus. Ils tenaient garnison à Bône, à Bizerte. Livrée par les captifs révoltés, Tunis était mise à sac, et le sultan aghlébite Moulaï-Hassan contraint de libérer les esclaves chrétiens, de concéder la poche du corail, de payer un tribut de douze mille ducats d’or, plus — la diplomatie d’antan avait de la fantaisie—six étalons et douze faucons. Au vrai, son fils l’ayant déposé en lui donnant le choix — louable déférence — entre la prison perpétuelle et avoir les yeux crevés, ce qu’il préféra, il faut ensuite que Don Juan d’Autriche reprenne la ville, plus tard définitivement perdue. Quant à Alger, le Scipion castillan y devait briser ses crocs. Son expédition fut un désastre. Certain très vilain faubourgqui déshonore le rivage entre lechampde manoeuvres et les abattoirs a conservé le nom de hameau Charles-Quint. Là était son camp. Le conseil de guerre y fut tenu où Fernand Cortez opina contre le rembarquement. Il se souvenait d’avoir brûlé ses vaisseaux. La prudence prévalut. Fiat voluntastua, soupira l’empereur en regardant le ciel. Abandonna « t son artillerie, avec les restes de son armée, il reprit la mer sur les débris de la flotte génoise vaincue par la tempete et tant bien que mal ralliée à Matifou. S’il eût écoulé le conquistador, celui-ci peul-elre lui aurait donné Alger. Et sans doute la nonchalance espagnole n’en aurait rien fait de plus que d’Oran, simple établissement servant de lieu d’exil aux gens en défaveur, et d’aù jamais ne partit aucun effort de pénétration. Au coin du square Bresson, où les bonnes d’enfants flirtent avec les chasseurs d’Afrique à 1 ombre des bambous et des magnolias, une plaque de marbre situe approximativement la porte Bab-Azoun, contre laquelle s’étaient brisé les chevaliers de Malte, chargeant à pied. A leur tête marchait le porte-enseigne Pons de Balaguer, dit Savignac. Criblé de javelots empoisonnés, avant de rendre l’âme il -ficha sa dague dans le bois en criant : « Nous reviendrons. » Comme l’ordre portait par dessus l’armure la soubreveste cramoisie barré de la croix blanche, dès lors la superstition arabe en inféra qu’Al-Djezaïr serait prise par des guerriers vêtus de rouge. Le pantalon garance devait réaliser cette prophétie du gentilhomme français. Mais pendant trois siècles encore, que de tentatives infructueuses. Ce fut le chevalier Paul, ce hardi marin qui était bien vraiment un enfant de la balle, sa mère, une lavandière de Marseille, l’ayant mis au monde dans 1 embarcation qui la ramenait du château d’if. Lors de la répression de l’insurrection de 71, nos troupes découvrirent dans la Kalua des Beni-Abbès, nid d’aigle des Mokrani, un canon


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