situation, le saisit et l’étreint convulsivement dans ses bras. Son regard lance des flammes, sa bouche des torrents de paroles qui provoquent l’hilarité tout autour de moi. On comprenait qu’elle était prête à mourir plutôt qu’à se séparer du fruit de ses entrailles. On procédait déjà à la violence, quand Léwanika së laissa fléchir et ordonna qu'on lui laissât son enfant. Le fortuné guerrier ! il a de la chance, lui ! deux animaux domestiques au lieu d’un, la mère et son fils ! Je n’y tenais plus, je m’éloignai de ces scènes écoeurantes qui se succédèrent pendant plusieurs jours. 0 mon Dieul jusques à quand? Gardez le cadre pour quelques jours et changeons le tableau. La distribution des esclaves est finie. Voici une phalange de plus de deux-cent •cinquante hommes qui s’avance. Le cercle s’ouvre, elle entre silencieusement et se déploie. Chaque homme porte un arc brisé avec un carquois rempli de flèches, un faisceau de javelines, ou bien un fusil qu’il tient renversé. Ces guerriers sont ceux qui se sont distingués, et les armes qu’ils portent sont celles des ennemis qu’ils ont tués ou éventrés. Chacun a tué son homme, quelques-uns en ont tué plusieurs. Et tous ne sont pas là. Les uns sont malades, d’autres sont allés chez eux, et d’autres, enfin, sont morts a leur tour. Dans cette phalange d’élite, il y a plusieurs des jeunes gens de mon école-. Un ou deux baissent la tête en m’apercevant. Pendant qu’on distribue des éloges à ces braves, je me livre à toutes sortes de réflexions, je fais un calcul et trouve qu’on a dû capturer plus de six cents femmes: et enfants, sans parler de ceux qui sont morts de petite vérole ou de mauvais traitements, et qu’on a tué plus de trois cent cinquante hommes, sans compter les blessés et ceux qui sont allés mourir dans les bois de leurs blessures. Faut-il encore porter ce calcul dans le domaine moral? Non. La guerre est horrible; c’est le grand engin du grand meurtrier de la race humaine, et il s’évertue, dans tous les pays, à le perfectionner. Assez ! Nous qui prônons tant nos lumières et notre civilisation, ne soyons pas les premiers à jeter la pierre à ces pauvres sauvages ba-Rotsi ! n’est-ce pas? — Non. Séfoula, 26 septembre 1892. ...Nous sommes en plein dans cette saison cruelle > la saison de mon deuil... N’en parlons plus. J’espère que, dans le courant du mois prochain, je pourrai enfin commencer les préliminaires de mon installation à Léalouyi. Mais les ouvriers sont rares, à cause de la petite vérole qui sévit toujours. Jai bien réussi à inoculer des vaches et à créer ainsi du vaccin. Des centaines de personnes ont été vaccinées, et, lors même que presque tous ont eu la petite vérole, tous 1 ont eue sous une forme très bénigne, et une seule, à ma connaissance, est morte. Mais les difficultés que nous rencontrons 1 Le roi, lui, ne voulait le vaccin que pour lui-même, son fils, ses' enfants, son neveu exclusivement; plus tard, il l’a voulu aussi pour son village. Quant aux chefs, ou bien ils n’avaient pas de confiance dans leurs gens à eux, ou bien, une fois vaccinés, ne revenaient plus. Eux vaccinés, qu’importe la nation ! Pour propager le vaccm, il me faudra donc encore refaire mes expériences, inoculer des vaches, et, avec le virus ainsi obtenu^ vacciner des gens. On ne réussit pas toujours. Tous les garçons et presque toutes les filles de la maison ont été malades. Et c’était intéressant de voir le rapport intime entre une bonne vaccine et la variole. Nous avons maintenant une pauvre fille qui est criblée de pustules. Je l’ai vaccinée trois ou quatre fois sans succès. La pauvre enfant est méconnaissable. C’est aujourd’hui le onzième jour, le jour critique. En voyant son corps, ses bras surtout, couverts de ces affreuses pustules, elle n’a fait que sangloter toute la matinée. Elle croit qu’elle va mourir, et elle a peur d’être ensevelie à la manière des chrétiens!... Pauvre petite! Tout notre entourage est triste... il y a des villages entiers tout à fait désertés; les champs restent en friche et nous nous attendons à une épouvantable famine. M. L. Jalla va partir demain pour son voyage de retour. Je le répète, sa visité; comme l’arrivée de M. et M™ Adolphe Jalla, m’a fait du bien... ... Combien de temps pourrai-je rester à Léalouyi? Je tiens à ne pas m’y lier. Je ferai reposer sur Jacob, l’évangéliste que les Jalla viennent d’amener, et qui m’accompagne, autant de responsabilité que possible, afin de pouvoir me retirer sans être aperçu. Comprenez-moi bien: ce n’est pas que je veuille prendre ma retraite ou quitter la mission, ou même que j ’aie d’autres plans ; non : ou que je sois, quoi que je fasse, la mission du Zambèze a mon coeur, et elle aura les derniers services que je pourrai lui rendre ; je mourrai à son service, si le Seigneur exauce ma prière. Mais j|f ;ne vaux pas grand’chose, et le Maître pourrait bien me mettre aux vieux fers. Envoyez-nous donc du renfort; autrement d’autres viendront récolter où nous défrichons avec tant de sueurs.
27f 90-2
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