fusil, j ’avois à craindre que l ’explosion du coup ne semât parmi elles l ’épouvante, et qu’elle ne fît rebrousser chemin à celles qui ar- ri voient. Mon inquiétude, quoique fondée en raison, ne se vérifia pas. J ’eus beau tuer et tirer dans tous les sens, la colonne continua d’avancer, comme auparavant; et la peur ne produisit, sur son instinct moutonnier, d’autre effet que de hâter davantage sa marche. Au milieu de cette multitude effarée, je tirais sans cesse et chacune de mes balles abattait souvent plusieurs pièces à la fois ; j ’eusse pu sans peine m’en procurer cent, si je l ’avois voulu; je ne.cessai enfin de tuer que parçe que cette quantité de gibier nie serait devenue inutile. Chaque fois que je tirois sur ces gazelles un coup de fu s il, à l ’instant même et toutes à la fois blanchissoient leurs croupes, et ces milliers de dos roux qui fuyoient devant moi ne me montraient plus qu’une nappe d’un blanc de neige qu’elles sembloient n’éta- ler que pour la faire disparaître aussitôt. J ’ai déjà parlé de cette propriété singulière des gazelles spring- bock, qui ont la faculté de changer à volonté la couleur de leur croupe , et de la faire, comme par une espèce d’enchantement, devenir blanche de rousse qu’elle étoit d’abord. Un pareil phénomène présenté d’abord à l ’imagination quelque chose de merveilleux, et cependant il est de la plus .exacte vérité et facile à concevoir d’après l’explication. Les poils très-longs et fort nombreux qui couvrent la croupe du spring-bock sont, en général, d’une teinte fauve ; mais malgré que ces poils paroissent entièrement de cette couleur, il n’y a cependant que ceux de la surface qui le soient réellement ; car ceux de l ’intérieur sont d’un blanc pur, et dans leur situation naturelle ceux-ci sont entièrement cachés et couverts par les autres. Tous ces poils se trouvent implantés, dans cet endroit, sur un vrai tissu de petits fibres musculaires, au moyen desquels l’animal peut à volonté étendre ou rétrécir la peau de sa croupe, de manière que par l ’extension qu’elle reçoit les poils se rabattent de droite et de gauche ; ceux de dessous, qui sont blancs, restent entièrement au jour, et recouvrent même les autres. Je ne puis mieux définir cette opération qu’én la comparant à l’effet que produit l’action d’ouvrir et de fermer un livre posé sur son dos. Un autre fa it, moins aisé à expliquer ,'est la multiplication prodigieuse de ces gazelles dans des contrées infestees d’animaux carnassiers qui de toutesparts y pullulent. J ’avois déjà rencontré ailleurs quelques-unes de leurs hardes innombrables; mais envoyant celle-ci, je me suis demandé souvent à moi-même , comment tant de milliers d’animaux, qui, par leur nombre, eussent desséché des sources et consommé les pâturages d’un pays tout entier , pouvoient vivre dans une contrée stérile et sans eau. Mais outre que lés gazelles , ainsi que les. chèvres , n’éprouvent pas le besoin de boire, sans doute elles habitent ordinairement des cantons plus fertiles ;' et il y a de ces cantons dans le voisinage, comme je le dirai bientôt. Au reste, pour donner à més lecteurs une idée dé1 ce qû’étoit cette harde, je dirai que, malgré la rapidité de sa course,-elle employa trois quarts d’heure tout entiers à défiler devant moi. Dans la relation de mon premier voyage, j ’ai fait mention de cette gazelle sous le nom de gazelle de parade , nom qui certainement lui convient, puisqu’en effet elle ne semble opérer le changement dont j ’ai parlé que pour parer son train de derrière d’unç couleur éclatante. Un journaliste m’a reproché, par rapport à cette dénomination, de n'avoir p o in t étu d ié les vra is prin cipes de la nomenclature ztoologicpie ; mais mon critique ignore sans doute que ce nom est un de ceux que porte cette gazelle au Cap de Bonne- Espérance, où les colons la désignent sous celui de pronk - bock ( bouc qui se pare ). Elle porte encore ceux de bouc sauteur, et'de bouc de passage. Toutes ces différentes dénominations sont tirées des habitudes de l ’animal , et je crois qu’ellès valent bien ces noms singuliers et barbares qui ne nous présentent aucune analogie èntre eux et la chose dénommée. Quant à moi, je pense que les vrais principes de la nomenclature sont ceux qui peignent les objets qu’on -se propose de faire connoître. R a
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