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sur l ’hérédité de la couronne dans les familles régnantes. Le parti que m’indiquoit la prudence et le seul que j ’eusse à prendre dans les circonstances étoit donc d’attendre les événemens et de mettre à profit celui que je croirois favorable à mes projets. Un heureux hasard m’en offrit bientôt l ’occasion. Entourré de cette multitude en fureur, je marchois avec elle tranquillement, à pied, sans armes, sans aucune précaution de sûreté; et en arrivant au k ra a l, je fis, sans délai, dresser mon camp, comme si j ’eusse été au milieu de meaparens et de mes amis. Tout cet appareil élevé subitement et comme par magie sous les yeux de la horde ; ces charriots , ces fusils, ces chevaux, cette tente , tous ces objets enfin, nouveaux pour elle , la frappoient d’admiration. Hommes, femmes, enfans, tous , immobiles et la bouche béante, regaxdoient dans un profond silence. La colère, la haine et les passions violentes s’étoient éteintes sur les visages et avoientfait place à des mouvemens plus tranquilles, à une surprise niaise, à une extase stupide. Cette situation calme étoit précisément ce que je desirois, et je ne songeai plus qu’à la prolonger pour en tirer parti. L ’enfance est naturellement curieuse ; tout ce qu’elle -voit la frappe; et le Sauvage n’est, sur cet objet, qu’un grand enfant. Ceux - ci paroissoient désirer que Je leur permisse de voir déplus près tout ce qu ils admiroient; et jé me prêtai avec complaisance à leur empressement. Tout fut examiné, visité, manié. Mais c’étoit ma personne spécialement qui étoit l ’objet de la curiosité générale. On ne se lassoit point de regarder mes habillemens. On m’ôtoit mon chapeau pour mieux examiner mes cheveux et ma barbe qui étoient longs , au lieu d’être crépus. Onentr’ouvroit mès vêtemens; et dans la surprise où l ’on étoit de trouver une peau blanche, chacun me palpoit, comme pour s’assurer que ce qu’il voyoit étdit véritable. Cette comédie dura jusqu’au soir; et moi-même je fis ce que je pus pour la prolonger. Enfin, quand le moment de la séparation fut venu, je fis insinuer à toute la troupe que si le lendemain matin, deux heures après le lever du soleil, elle ne s^toit pas accordée pour choisir un chef, je la quitterois à l’instant même. Mais j ’ajoutai que si on venoit me présenter ce chef, élu du consentement général, alors je le comblerois de présens , et que je lui donnerais sur - tout une distinction qui l ’éleveroil au - dessus de tous ses pareils et qui rendroit la horde une des plus célèbres de toute la contrée. Mais quelle fut ma surprise, lorsque le soir j ’eus compris que c’étoit sur ma tête que venoit s’appésantir la couronne. En apparence épouvanté de ce coup de foudre, j ’en tirai le parti que je m’étois promis pour rétablir entièrement le calme y et je consentis, s’ils promettoient de s’y soumettre, à leur donner le véritable chef digne de les conduire et de les rendre heureux. J ’avois pris secrètement, par mes interprètes, les informations qui m’étoient nécessaires pour arriver sûrement à mes fins. Je ne voulois, dans le fond, que connoître leur choix ou l’inclination du plus grand nombre. Par-là, en le leur indiquant, j’y mettois une sorte d’inspiration capable de les frapper. Je réussis au gré de mes désirs : on me nommoit un certain Haripa ; Haripa fut proclamé par moi. Le Sauvage a les passions violentes. Sa colère est terrible; mais l ’explosion en est courte, et bientôt il revient à la douceur naturelle de son caractère. C’est ce que j ’éprouvai ce jour-là. L ’effervescence de la troupe étoit calmée; on se retira paisiblement et dans l ’intention de m’obéir. J ’ignore si les femmes, en se séparant, se concertèrent entre elles , et si mon choix secondoit leurs voeux ; mais le lendemain matin, à l’heure indiquée, toute la horde se rendit vers moi, ayant à sa tête le chef Haripa. C’étoit un homme d’une quarantaine d’années ; grand, bien fa it, très-fort, et par conséquent appellé par la nature à dominer la tourbe des foibles. Avant de procéder à son inauguration, je voulus savoir si tous les suffrages s’accordoient à le reconnoître , et si personne ne pro- testoit contre son élection. Sur l’assurance qu’on donna de l’unanimité du choix. Je fis approcher Klaas. Celui-ci tenoit en main un


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