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mais les terres qu’elle avoit lavées la rendoient si salée qu’il étoit impossible de la boire. Nos boeufs , accoutumés à des sources saumâtres , s’en accommodèrent pourtant; et ce fut un bonheur. Pour moi , j ’eusse autant aimé avaler de la saumure. Heureusement nous trouvâmes de loin en loin, dans des creux de roches, quelques dépôts, formés par la pluie , et qui étoient potables; Le troisième jour enfin, je reconnus la plaine et les montagnes que m’avoient désignées les Porte-sandales. Quand je me sers du mot de plaine, on ne doit pas attacher à cette expression le sens qu’elle a strictement dans la langue françoise. En Afrique on nomme ainsi les espaces et terrains qui, entourés de hautes montagnes, n’ont que des rochers et des monticules beaucoup moins considérables , dont ils sont entrecoupés. Nous avançâmes dans cette prétendue plaine. J ’avois en face les montagnes qu’on m’avoit dit être le repaire des Houzouânas. Elles n’étoient guère qu’à cinq ou six lieues de moi, et me paroissoient s’étendre et se perdre du sud au nord ; mais je n’avois garde d’aller m’y engager an hasard. D’un autre côté, il n’y avoit pas moyen d’envoyer en avant, selon la coutume, quelques personnes de ma troupe , pour m’annoncer et préparer les esprits à mon arrivée. Ceux de mes gens à qui j’aurois tenté de le proposer m’eussent refusé formellement. Je ne voulois même pas mettre à cette épreuve l’attachement de Klaas, quelque dévouement qu’il m’eût montré jusqu’alors. Dans l ’embarras où je me trouvois, il nerfalloit plus compter que sur moi seul, et attendre , pour me décider et prendre un parti, les circonstances qui alloient naître. Je fis donc halte et j ’ordonnai qu’on dressât mon camp. Mon espérance étoit de découvrir, pendant la nuit, les feux que les Houzouânas allumeroient dans leurs montagnes. Ces signaux devoient m’indiquer les lieux qu’ils habitoient, e t , en m’orientant et dirigeant ma marche , m’empêcher d’errer à l’aventure. Pour cela il falloit n’être pas découvert par eu x , et par conséquent-supprimer les feux allumés de mon côté. Mais cette mesure devenoit impraticable. A mon arrivée, j’avois vu des hardes considérables de zèbres. J ’en avois vu de pins nombreuses encore de cette espèce de gnoux dont j ’ai parle plus haut ; et cette quantité d’animaux sauvages devoit en attirer de carnassiers. Or , comment se hasarder à passer une nuit sans feux , dans une contrée inconnue et très-probablement infestée de bêtes feroces ? Ainsi, renonçant à ma première id ée, je commençai à battre les environs et à faire une patrouille avec quelques-uns de mes gens, afin de nous rassurer contre tout voisinage d’ennemis. Puis la chûte du jo u r , je donnai ordre qu’on allumât de très-grands feu x , et qu’on les multipliât beaucoup ; en les disposant cependant de manière qu’ils pussent nous aider à distinguer au loin ce qui se passeroit de dangereux pour nous. En même tems, pour tenir en respect les Houzouanas , dans le cas où par hasard quelques-uns d’eux nous auroient apperçus, je fis faire une décharge générale de la mousquettene ; et j’eus soin que, de tems en tems, on tirât quelques coups de fu s il pendant la nuit. Pendant la nuit, j’apperçus au loin, vers le sud, un très-grand feu, q u i, par le volume dont il paroissoit, malgré son éloignement, me sembloit être un embrâsement d’herbes sèches sur des montagnes. Mate plus près devant nous, à l’ouest, j ’en vis trois autres , que je soupçonnai être des signaux. Cenx-ci m’annonçoient que j ’étois flans le voisinage de quelque peuplade , soit d’Houzouânas, soit d’une autre nation ; et en conséquence, je résolus de m’approcher d e s m o n t a g n e s , dès que le jour paroîtroit. Quand il fallut partir , je me vis arrêté de nouveau par l ’irrésolution de mes gens, qui , revenus.à leurs anciennes terreurs , crai- gnoient de pénétrer plus avant. Lorsque nous avions quitté la horde sandaliste, le danger ne s’étoit montré qu’en perspective dans le lointain, et on l’avoit bravé. Mais à présent, qu’on le voyoit de près et qu’il étoit grossi par l’imagination, ü glaçoitles courages.^ Ces patrouilles , ces feux , ces précautions de sûreté que j ’avois cru devoir prendre pour la unit, n’avoient fait qu’augmenter l ’épouvante. On craignoit déjà que je ne voulusse aller bien au-delà du


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