rares dans la saison où nous nous trouvions ; je me trompai. Sans diminuer de hauteur, elle déborba le plateau, descendit au dessous de ses rebords, et, circulant ainsi le long de son escarpement , alla rejoindre le nuage du Diable avec lequel elle se confondit pour n en plus faire qu’un seul. Tout ceci s’opéra sans le moindre dérangement dans l’air. La rade elle-même cessa d’être agitée par le vent ; et le calme universel me dit assez que je devois renoncer à-l'attente d’un orage dont le spectacle m’auroit beaucoup intéressé, mais dont les effets n’auroient pas également amusé les habitans de la ville qui n’avoient pas le même intérêt à ces observations. L’approche de la nuit vint me dédommager un peu de cette contrariété en m’offrant un tableau différent, il est vrai, et moins rare, mais plus sublime peut-être que cette grande tempête sur laquelle je m’étois avisé de compter. C’étoit le coucher du soleil dans l’océan. On pourroit dire que c’étoit l’arrivée du maître de la nature aux bornes du monde. Je vis ce globe de feu se plonger et disparoître avec majesté dans les eaux. Quel ravissant spectacle il offrit à mes yeux étonnés ! lorsque , rasant la surface des mers, il parût tout-à- coup en embrasser l’abîme, pour rejoindre, comme le dit Ossian, l’immense palais des ténèbres. A son approche les flots élèvent leurs têtes agitées pour se dorer de sa lumière ; leurs couleurs diamen- tées par ses rayons se dégradent insensiblement, et soudain ils s’a- baissent lorsqu’il a disparu. Déjà l’océan eommençoit à n’être plus éclairé et laimmense rideau de nuages que j'avois à l’est réflétoient encore ses feux dans leurs parties supérieures ■: leur masse totale représentoit des montagnes de neige et leur couronnement étaloit une zone resplendissante de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Ce spectacle ne dura qu’un instant ; mais, à une distance de trente lieues vers le nord , les montagnes du Piquet, plus hautes encore que la Table , conservèrent pendant quelque tems la lumière sur leurs cimes majestueuses ; elles se détachoient sur le fond pourpre et violâtre du ciel. On eût dit des fanots destinés à éclairer l’Afrique intérieure pendant l’obscurité de la nuit. Que l’homme est petit à cëtte hauteur, et que ses passions sont misérables lorsqu’il se compare à l’immensité ! Aux approches des ténèbres les vautours avoient quitté la plaine et regagnoient les rochers. Les bavians se retiroient dans leurs repai-. res; les petits oiseaux voltigeoient encore autour de moi : épars sur les arbustes et les buissons, ils célébroient par leurs concerts la fin (!’lin si beau jour. Leur chant mourut avec le crépuscule, 1 obscurité: livra la montagne aux oiseaux funebres ; et moi , triste et penseur , je rentrai, dans ma canonnière qu on- avoit entouree d un grand feu pour en éloigner les animaux malfaisants qui fuyent la lumière. — , Je devois m’attendre à rencontrer sur la montagne une sorte d’ennemis plus dangereux encore ; c’étoient ces esclaves marrons fugitifs de la maison domaniale, vivant dans les rochers et profitant de la nuit pour aller dérober dans ; les. habitations voisines. J avois à craindre que quelqu’un de pps déserteurs ne se fût caché dans mon voisinage, et qu’à la faveur, des ténèbres il ne tentât de me surprendre ou de m’attaquer. Mes précautions étaient prises d’avance ;. j’étois trop bien armé pour redouter un pareil combat, et la vigilance de mes trois chiens, plus encore que mes feux me permit dm reposer en sécurité toute la nuit- La brume devint si humide que , quand le jour parut, je me sentis , dans ma tente,, tout perclus de froid , malgré un très-fort manteau , dans lequel je m’étois roulé et enveloppé tout entier. Par l’état où j e me trouvai , on peut juger de ce que mes gens avoient eu àf souffrir. Pour me dégourdir , je pris le parti de me transporter dans- la partie de la montagne que je jugeai devoir être exempte de brouillards . Je comptais, comme le jour précédent,y trouver le soleil ;.mais la nuée l’avoit couverte en partie, et le soleil ne s’y montra que- lorsqu’il eût passé le méridien. En attendant qu’il vint me réchauffer par sa présence, je parcourus le plateau avec mon fusil, dans l’espoir de me procurer des provisions , si je trouvois quelque pièce de gibier à abattre. Je ne vis que des vautours, posés en avant sur le bord de leur trou, qui, engourdis par le froid et humectés par la rosée, attendoient aussi le soleil pour se ressuier et prendre leur vol. Dans cet état ils sembloient ne pouvoir remuer leurs ailes, et se laissoient approcher de très-près. J’en tuai plusieurs. J’essayai même, quand
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