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Dans une pareille situation, ma présence ne pouvoit que l’allarmer beaucoup. Lë train dont j’et ois suivi, le cortège qui m’accompagnoit, ma couleur, mon arrivé subite et inattendue, tout devoit être d’un présage sinistre pour un homme qui sans cesse appréhendoit de se voir, trahi, poursuivi ou arrêté. L’effroi se peignit sur son visage ; les enfans même , allarmés à mon approche, s’écartèrent et s’enfui- renti Mon premier soin fut de dissiper ces terreurs dont j ’étois la cause innocente. Pour les terminer le plus promptement possible, je dis au fugitif', que je venois le saluer de la part de M. Gordon, et lui remettre une lettre de lui, dont j ’étois porteur. Au nom du colonel, la» joie reparut» sur ce visage si consterné; je ne fus plus pour Schoenmaker qu’un ami, et il s’empressa de me Je prouver en me donnant la main. Alors le petit essaim se rapprocha de lui, et cè fut à qui l ’aCoableroit» de plus d’amitiés. Pour moi, plus envieux du bonheur dont il pouvoit jouir dans une pareille situation, que frappe de la cause de ses- allarmes, je me promettais déjà de le rassurer pleinement, et de lui obtenir, à cet égard, toutes les W ranties; mais, à cela près' des craintes» qui l’agitoient» sans-cesse», quonpi’il n’y eût point de vie plus douce ni plus libre que celle qu’il menoit actuellement, il est clair, par le parti qu’il prit dans la suite, qù’iin e falloit pas un grand efjfbrt pour l’en détacher, et le rendre aux embarras de la société. Car, à mon retour au Cap, étant parvenu à obtèrtir sa grâce, il n’en fut pas plutôt instruit'’ qu il revint avec toute: su famille, abandonnant ses huttes, xesfein- mes», ses»chasses, et cette entière possession de sohmême; pourTàL quelle je vendrois, moi, par centaines, les plus beaux» empires. ' Ne sachant pas lire, il me pria de lui faire lecture dèia lettre dû colonel; et après l’avoir entendue, il m’offHt de m’obliger »en tout Ce qui'dépendroit de lui. Sans me prévenir, il donna.ordrë j qu’on tuât'Un boeuf et quelques' moutons, pour être distribués à mes gensi Enfin, sès-femmes, toutesHottentotes, qui, à mon approche, s’é- tûient- cachées, se montrèrent pen-à peu ; je leur distribuai quelques petits cadeaux, ainsi qu’aux enfans. J’ai dit ses femmes ; car il en avoit plusieurs; et en cela il» avoit usé amplement dé ifiadêpsïidaiiioe- que lui êo-nnoit son genre »de ¡vie. Sa horde niétait inêiiiB.couipogée qtie de ses femmes, de se® enfans , et de sept ou iiult"Hattentotë attachés à son service. J’ai donné au lieu, où étoit campée cette horde, le nom de Serrail. Depuis, j’en ai rencontré , dans ma route, trois semblables ; mais les sultans de celles-ci ne ressembloient guère à Schoenmaker : c’étoient des scélérats dont j ’aurai occasion dé parler dans la suite. Depuis mon •dépaîuduT'Naïnero, je remarquois que mes attelages maigrissoient et dépérissoient insensiblement, quoique cependant je les eusse bien ménagés, et qu’ils n’eussent commencé à me -servir, qu’après avoir quitté le Kaussi. Mais le pays n’avoit que des herbes sèches et quelques arbustes ; et cette nourriture, à laquelle ils n’étoient point accoutumés comme les troupeaux nama- quois, leur étoit contraire. Schoenmaker s’en étoit apperçu. Lui- même me conseilla de quitter au plutôt la contrée ; et il m’offrit* si je voulois lui donner deux jours pour faire ses arrangemens, de me conduire avec ses boeufs jusqu’à la Grande - Rivière. Une pareille proposition ne pouvoit manquer dé m’être agréable. Je l’acceptai, et j ’employai les deux jours de délai à visiter et à connoître le pays et les montagnes. Il n étoit pas meilleur que celui que je. venois de quitter. Point d’animaux. Dans les deux jours, je ne trouvai, pour ajouter à ma collection, qu’un étourneau d’une espèce nouvelle. Quant au grand gibier, je n’en vis nulle part; et cette disette, Schoenmaker l’attri- buoit aux tigres et aux lions, qui, trop multipliés sur ce coin de terre, l’en écartoient, disoit-il. Pour moi, j ’en accusois moins les bêtes féroces que le manque d’eau et de vivres. Au reste, quelle qu’en fut la cause, ce défaut de gibier me f§- choit beaucoup. Il n’y avoit que quatre mois que j ’étois en route, et déjà cependant j ’avois consommé, pour la nourriture de mes gens [ plus de boeufs et de moutons que pendant les seize mois entiers dé mon premier voyage. D’un côté, les retards avoient considérablement diminué mes provisions ; de l’autre, -beaucoup de bestiaux m’é


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