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Si V O Y A G E route ; il eft bien arrivé dans mes premières expériences, qu’ayant quelquefois tiré de trop près, ou rois trop de poudre, ou le morceau de chandelle trop épais, je le retrouvois tout entier dans le ventre de l’animal que' je venois de tirer ; mais , après un court apprentiffage, je ne m’y fuis plus laiffé prendre, & je n’ai jamais manqué mon coup. J’ai fouvent laiffé, du matin jufquau foir,mon fufil ainfi chargé? je ne m’apercevois point que la poudre en fût altérée, & le coup n’en partoit pas moins bien. On devine affez que , de cette manière , je ne tirois jamais horizontalement. Depuis mon Tetour en Europe , je me trouvai un jour à lia campagne chez un ami. On parla, devant quelques perfonnes qui m’étoient inconnues, du moyen que j’avois employé & que je viens de décrire ; une d’elles , qui n’ofoit m’avouer en face fon incrédulité , foutenoit , vis-à-vis des autres, par de très-clairs argu- mens que l’affertion étoit tout au moins exagérée. Tandis qu’ils fe difputoient, je difparus, fans que la compagnie le remarquât; & , après avoir préparé un fufil fuivant ma manière, je revins par le jardin à la fenêtre où ces Meffieurs contmuoünt leur difpute ; & , leur montrant du doigt un petit oifeau perché tout près de là, je rajuftai; il tomba. Je le faifis fur le champ, & , le livrant plein de vie aux mains de mon difcoureur, je fis ceifer fes beaux rai-: ionnemens. Vers la fin du mois, nous fumes contrariés par de nouvelles pluies ; elles durèrent long-temps & prefque fans refâche ; ces orages fe fuccédoient avec rapidité ; le tonnerre tomba plufieurs fois, près de nous, dans la forêt ? l’eau nous gagnoit infenfiblement de toutes parts ; pour comble de défagrement, dans une nuit, notre camp fut entièrement fubmergé ; nous quittâmes auffitôt le bois pour aller nous établir plus haut en rafe campagne. Je voyois, avec le plus, amer chagrin, qu’il n’étoit pas polfible de fortir de 1 endroit où nous nous trouvions circonfcrits ; ces petits ruiffeanx qui , auparavant , nous avoient paru fi agréables & fi rians , s étoient changés, en torrens furieux qui charioient.les fables', les arbres, les éclats de rochers $ je fentois qu’à moins de sexpofer aux plus grands dangers, il étoit impoffible de les traverfer ; dun autre cô té , m e s Boeufs haraffés , tranfis, avoient défertédemon camp; je ne' favois par où & comment envoyer après enx pour lès ratrap- per ; ma fituation n’étoit affurément point amufante ; je paflbis de triftes momens. Déjà mes pauvres Hottentots fatigués & malades commençoient à murmurer ; plus de vivres , plus de gibier; ce que nous en tuyons fuffifoit a peine a notre fubfiftance , parce que, refferrés par le torrent qui groffifloit chaque jour davantage , nous n’avions pas même la reffource de nos voifins pour en obtenir quelqu’affiftance. Quelle pofition & quel affligeant appareil ! On eut dit qu’un déluge univerfel alloit inonder l’Afrique. Je renfermois au-dedans une partie de mes alarmes; je Yoyois mes triftes Compagnons promener leurs regards inquiets , & m attefter , par leur filence, tout ce qu’ils éprouvoient de craintes pour eux-mêmes. Jamais fpe&acle ne vint s’offrir fous des couleurs plus fombres: en un moment, nos charmantes promenades ravagées , dévaftées par les eaux ; ces jardins délicieux & rians changés en un défert inhabitable & noir! Dans cette détreffe, je raffémblai toutes mes forces, & conjurai mes amis de chercher au moins nos Boeufs difperfés & perdus, & de fe déterminer à traverfer l’un des torrens, au rifque de tout ce qui pourroit en arriver. Par la plus étrange bizarrerie du fort, l’événement fatal qui nous menaçoit d’une perte prochaine , caufa une partie de notre falut. L’un de mes Hottentots, en cherchant un paflàge , aperçut, au milieu des eaux, un Buffle qui s’étoit probablement noyé la veille ; car il étoit encore affez frais. Il vint, avec des cris de joie, nous apporter cette heureufe nouvelle. Rien n’arrivoit plus à propos. Nous tirâmes , non fans quelque péril, l’animal à bord; il fut dépecé fur la place. On en leva les parties les plus faines ; mes Chiens, qui jeûnoient depuis long-temps, trouvèrent dans celles que nous leur abandonnâmes de quoi fe refaire & fe ravitailler un peu. Nous les voyons revenir de la curée avec des ventres qu’ils avoient peine à porter. Un dernier trait ne fauroit échapper à ma plume ; il peindra mieux encore l’état cruel où nous nous voyons réduits; nos Chiens, qui n’étoienr plus que des fquelettes ambulans , épioient nos démarches , & fe traînoient fur nos pas , lorfque l’un de nous, pour L ij


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