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334 V O Y A G E montagne dont nous avions vu le revers dans les premiers jours de notre départ; cette vue excita des cris de joie : nous allions retrouver nos foyers, notre camp , nos troupeaux, toutes nos richeffes & tout notre monde ! nous forçâmes la marche , & le foir, un peu tard à la vérité, fans qu’on nous eût découverts, nous arrivâmes au camp ; tout étoit plongé dans le plus grand calme ; je ne pus jouir de l’étonnement délicieux de cette arrivée précipitée; le vacarme affreux des chiens donna fur le champ l’éveil; on accoufut à nous; on reconnut nos voix ; jufqu’aux bêtes les plus infenfibles , tout fembloit prendre part à la joie commune; nous ne pouvions fur-tout nous débarraffer des chiens qui nous étotirdiffoient de leurs fauts & de leurs aboiemens précipités. Mais un autre fpeéfacle ne me parut pas moins intéreffant ; ma famille s’étoit confidérablement accrue ; à mon départ, un petit détachement de la Colonie de ces bons Gonaquois avoit quitté la Horde, & étoit venu s’établir à l’endroit même que j’avois afligné aux Çaffres; ils y avoient conftruit plufieurs huttes nouvelles ; on m’apprit & je vis affez par l’ordre admirable qui régnoit dans le camp, que tout avoit été tranquille pendant mon abfence ; on s’étoit entretenu de nous tous les foirs : Svranepoël me rendit, de chacun en particulier , les meilleurs témbignages ; après la première quinzaine écoulée; fans apprendre de mes nouvelles, il n’avoit pu, me dit-il, fe défendre d’un peu de terreur ; il craignoit de ne me plus revoir qu’au Cap, perfuadé qu’à moins que je ne rencontrafle des obftacles invincibles, je percerois toujours en avant, tant que les munitions ne me manqueroient pas. . * J’avouerai bonnement que, privé pendant près d’un mois de l’aifance & des douceurs de mon Camp, j’étois enchanté de m’y voir de retour. Quelle fatisfaélion ne reffentois-je pas au-dedans, de tout l’attachement & de la fidélité de ces Hottentots fi timides & fi foibles, que je n’avois pas craint d’abandonner à eux-mêmes. Il étoit temps de leur prouver ma reconnoiffance ; j’annonçai, à haute voix , qu’il étoit fariiïdi ; cette déclaration, qui courut bientôt de bouche en bouche jufqu’aux Gonaquois mêmes, mit le comble à l’effervefcence qui les agitoit ; cette circonftance exige une explication , & je m’y prête , avec un nouveau plaifir ; car le fouvenir des ces petits , mais délicieux , moyens-.par lefquels je fàvois varier mes loiûrs & me faire, dans un défert inhabitable, du plus fimple objet un objet de plaifaiiterie & d’amufement , annonce une grande tranquillité, & fait qu’au fein même des arts & de toutes les agitations de l’amour-propre, je me cherche fou- vent & gémis de ne me point reconnoîtse. En partant du Cap , j’avois négligé de prendre un Almanach; cependant , afin de pouvoir compter fur quelque chofe , & que mon Journal fût exaét, j’avois fixé tous les mois à trente jours ; comme je n’en paffois jamais un fans me rendre compte, il m’étoit affez indifférent de diftinguer les femaines & de connoître chaque jour par fon norii ; mais j’étois convenu de diffribuer à mes Hot- tentots leurs rations de tabac tous les famedis; s’il arrivoit que , ne voulant pas me donner la peine de confulter mon Livre , je leur demandaffe le jour que nous tenions, j’aurois fait d’avance la réponfe : fuivant leur calcul , c’étoit l’amedi , de telle forte qu’en compulfant mon regiftre, après quinze mois de voyage , j’ai trouvé fept ou huit de ces famedis qui n’avoient point de femaine. Je me vis donc, comme par le paffé , entouré de ma nom- breufe famille ; & , tandis que tout fumoit fa pipe près d’un grand feu , jufqu’aux femmes Gonaquoifes, & que chacun favouroit fa double ration d’eau de vie', je reprenois avec plaifir le régime de la crème & du thé. Je parlai, le lendemain , de la route que je comptois tenir; chacun en étoit déjà informé; je n’efluyai pas autant de remontrances & d’obje&ions que je m’y étois attendu ; je fentois que mon voyage touchoit à fon terme, & que tout ce monde, épuifé de fatigues , trouvoit bon tous les chemins qui paroiffoient nous rapprocher du Cap; cependant le paffage par les montagnes du Sneuw-Bergen , repaire des Boffifmans, faifoient trembler plus d’un de mes Braves; je fixai ce départ à la huitaine, afin d’avoir le temps de réparer nos voitures, faire une nouvelle charpente pour la tente de la mienne, en couvrir la toile avec des nattes fraîches ,


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