les plus miférables attaches de fer pour remplacer ce meuble d’un luxe d’ailleurs fort inutile ! Malheureufement c’étoit la feule paire que je pofledaffe ; je lui fis comprendre que ces boucles m’étoient abfolument néceffaires ; de ce moment, il n’en fut plus queftion.- Elle avoit le bon efprit de n’être affeâée d’aucun de mes refus ; il fuffifoit que j’euffe une fois dit non , pour qu’elle changeât d’objet. Je trouvois fon nom difficile à prononcer , défagréable à l'oreille, & très infignifiant pour mon efprit ; je la débaptifai & la nommai Narina , qui lignifie fleur en langage Hottentot ; je la priai de conferver ce beau nom qui lui convenoit à mille égards ; elle me promit de le porter tant qu’elle vivroit, comme un fouvenir de mon palfage dans fon Pays & comme un témoignage de fon amour ; car ce fentiment déjà ne lui étoit plus étranger & dans fon langage naïf & touchant, elle me faifoit affez connoître tout ce qu’a d’impérieux la première impreflion de la Nature, & qu’au fond des déferts d’Afrique, il ne falloit pas même oferpourêtre heureux. J’avois fait tuer un Mouton, & cuire une bonne quantité djf notre Hippopotame pour régaler nos hôtes ; ils fe livrèrent à tous les accès de la gaîté. Tout le monde danfa. Mes Hottentots, en hommes polis & galans , régalèrent de leur mufique les Sauvages; les virtuofes firent entendre le Goura, le Jnoumjnoum, le Rabou- quin ; l’heureufe Guimbarde ne fut point oubliée ; cet infiniment nouveau produifit fur les aflïftans la plus vive fenfation; Narina, comme toutes les jolies femmes qui ne doutent de rien, voulut l’effayer ; mais, comme toutes les jolies femmes, bientôt impatientée de la leçon , elle jeta loin d’elle l’inftrument qu’elle trouva déteflable. Toute cette journée fe paffa en fêtes, en folies; mes gens diflri- buèrent leur ration d’eau de vie , indépendamment de celle que je leur avois fait particulièrement donner ; je vis avec plaifir que Narina n’en pouvoit boire; cette fobriété redoubla l’intérêt qu’elle m’avoit infpiré ; je dételle cette liqueur, & m’étonne comment nos femmes bravent ainfi , par gentilleffe, le plus dégoûtant des poifons. Je fongeai à faire ramaffer de bonne heure le bois néceffaire pour nos feux ; cette opération ne fut pas longue ; les Gonaquois. fe mirçnt dé la partie, & firent une ample provifion pour eux- mêmes ; car je leur avois permis de relier jufqu’au lendemain, & leur avois afligné, pour paffer la nuit, une place éloignée de mon camp. Le foir , lorfque ces feux furent allumés, je régalai mon monde avec du thé & du caffé ; Narina prenoit goût au thé ; mais la couleur du caffé lui donnoit de l’aVerfion pour cette liqueur ; je mis la main fur fes y eu x , & lui en fis avaler une demi-taffe ; elle la trouva bonne ; mais elle retournoit de préférence au thé ; elle y revenoit même fort fouvent ; c’étoit de fa part une fineffe dont je feignois de ne m’être pas aperçu & qui m amufoit beaucoup ; je fuis perfuadé que cette boiffon ne flattoit pas infiniment fon goût : mais elle fe dépêchoit de l’avaler pour arriver, dans le fond de la taffe , au morceau de fucre-candi qu’elle m’avoit vu y jeter. Après ce goûter frugal & les fcènes piquantes qu’il me procu- roit, on fe remit à la danfe, & vers minuit le befoin du repos fit ceffer les plailirs. Depuis quelque temps je couchois dans mon chariot pour éviter l’humidité des nuits; je fis au chef des Gonaquois la politeffe de le garder dans mon camp, & j’arrangeai moi-même ce bon vieillard dans ma Canonnière. Le Lerieur s’attend bien fans doute, à voir ma favorite exceptée de la loi qui renvoyoit toute la Horde dans l’enceinte que je lui avois prefcrite, & ne croira point à ma continence. Narina fe tenoit près de moi, & ne fongeoit guères à quitter fon ami. . . Je lui montrai fa mère & fes compagnes qui s’éloignoient de nous, & . . . je reçus les adieux de Narina. Je détachai deux de mes gens armés pour paffer la nuit auprès de ces Gonaquois & les défendre contre l’approche des animaux catnafliers ; lorfque tout le monde fe fut retiré, j’ordonnai qu’on ne laifllt plus entrer ni fortir perfonne. J’eus beaucoup de peine à m’endormir ; tout ce qui venoit de fe paffer, depuis l’arrivée de ces Sauvages , fe retraçoit à mon imagination fous des couleurs,fi bizarres & fi nouvelles; ce que j’apprenois du carailère & des moeurs de ces peuples, comparé aux relations fades & ridicules de :19s.romanciers Voyageurs, me
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