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t*4 V O Y A G E Mon Hottentot Klaas-, en revenant de la chaffe , m’apporta un Aigle qu’il avoit tué; c’étoit une efpèce que je n’avois pas encore vu e , & qui n’eft décrite par aucun Auteur; je le recompenfai dignement, & lui donnai double ration de tabac; non que je duffe être généreux envers un homme que j’affeftionnois de prédileétion , & à qui il m’eût été cruel de refufer la plus légère faveur, mais pour exciter , par cet exemple , tous mes gens à me faire quelques découvertes. Cet oifeau, entièrement noir , mefembloit, par fon caraitère tunir autant du Vautour que de l’Aigle ; mais j’ai reconnu qu’i en diffère par fes moeurs; au furplus l’analogie eft grande dans tout le refte ; car , au befoin , l’Aigle devient Vautour ; c eft-à- dire que , preffé par la faim , s’il ne fe préfente rien de mieux pour l’inftant, il fe jette aufli bien qu’aucun autre oifeau de proie fur une charogne empeftée, & c’eft une erreur grolliere d imaginer qu’il ne vit que de fa chaffe : lorfque je faifois répandre les débris des gros animaux que nous avions tués, pour attirer les oifeaux carnivores , les Aigles , les Pigrièches même arrivoient à la curée tout aufli bien que le Vautour. Je demande bien pardon aux Poètes anciens & modernes , de dégrader ainii la nobleffe de ce fier animal; il eft affreux , je l’avouerai, de voir cette fublime monture du puiffant maître des Dieux s’abattre honteufement fur les reftes épars dune charogne infeâe, & s’y repaître à fon plaifir ! Le 18 , nous paffâmes une partié de la nuit a faire le coup de fu f il, pour écarter encore nos deux Lions & la troupe vorace des Hiennes ; je ne m’endormis que fort tard ; a mon reveil, quelle fut ma furprife de me voir entouré au milieu de mon camp d une vingtaine de Sauvages Gonaquois. Cette vifite & fes fuites méritent de plus amples détails. Le Leéteur, dans ce fimple récit, puifera plus de vérités fur l’état pofitif d’un Sauvage d Afrique , que dans tous les difcours des Philofophes. Le chef s’approcha pour me faire fon compliment ; les femmes dans toute leur parure, marchoient derrière lui : elles étoient lui— fantes & fraîchement Boughouées, c’eft-a-dire qu après s etre frottées avec avec de la graiffe, elles s’étoient faupoudrées d’une pouflîère rouge qu’elles font avec une racine nommée dans le Pays Boughou , & qui porte une odeur affez agréable. Elles avoient toutes le vifage peint de différentes manières, chacune d’elles me fit un petit pré- fent. L’une me donna des oeufs d’Autruches, une autre un jeune Agneau, d’autres m’offrirent une abondante provifion de lait dans des paniers qui me paroiffoient être d’ofier ; ce dernier cadeau m’étonna ; » du lait dans des paniers , me difois-je ! voila une » invention qui annonce bien de l’induftrie»! & , me rappelant ces pots au lait de cuivre dont on fe fervoit autrefois à Paris, avant que la fageffe de la Police les eût à jamais profcrits, je vis , en les comparant avec les vafes fi propres qui m’étoient préfentés, combien un grand peuple avec fes arts , fes grands-hommes & fon Eouvre, eft fouvent loin, pour les befoins les plus fimples, des peuples qu’il méprife ! Ces jolis paniers fe fabriquent avec des roleaux fi déliés & d’une texture fi ferrée, qu’ils peuvent fervir même à porter de l’eau ; ils m’ont été, pour cet ufage, d'une grande reffource dans la fuite ; le Chef des Gonaquois m’apprit qu’ils étoient l’ouvrage des Caffres avec lefquels ils les échangent contre d’autres objets. Ce Chef fe nommoit Haabas; il me fit préfent d’une poignée de plumes d’Autruche du choix le plus rare. Pour lui montrer le cas que je faifois de fon préfent, je détachai fur le champ le panache de la même efpèce que je portois à mon chapeau , & je mis le lien à la place ; je remarquai dans les traits du bon vieillard toute la fatisfaûion qu’il en reffentoit ; il me témoigna par fes geftes & fes paroles combien il étoit enchanté de mon aélion. Mon tour vint de prouver à ce Chef ma reconnôiffance: je commençai par lui faire donner quelques livres de tabac. J’allois me procurer , à peu de frais , une fcçne délicieufe , & faire plus d’un heureux; d’un fimple figne, Haabas fit approcher tout fon monda; dans un clin-d’oeil, ils formèrent un cercle, & s’accroupirent comme des Singes ; tout le tabac fut diftribué, & je remarquai, avec beaucoup de plaifir, que la portion que s’étoit réfervée Haabas égaloit tout au plus celle des autres. Je me fentis touché de cette bonhomie Tome /, A s


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