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236 V O Y A G E D A N S L A M A R M A R IQ U E terrasses boisées, et leur situation variée qui les fait alterner ici avec des plaines, plus loin avec des vallées, expose la plupart d’entre elles aux brises rafraîchissantes de la mer, et les abrite toutes contre le souffle brûlant des vents du Saharah, présentent autant de conditions favorables à cette fécondité successive, et mettent, on peut le dire , la merveilleuse tradition d’Hérodote hors de tout soupçon d’exagération. Il ne manque même à cette description, pour etre complètement topographique , que l’indication des distances; mais Strabon et Pline ont suppléé à cette omission, en disant que les terres dans l’espace de cent stades du rivage sont couvertes d’arbres, et que durant cent stades plus au sud elles ne produisent que des moissons (l). Si l’on confronte cette nouvelle indication avec l’état actuel de la Cyrénaique, on la trouve en effet non moins exacte que la première. Les forêts qui couvrent toute la partie septentrionale des montagnes de Barcah, ne s’étendent pas au-delà de quatre lieues des bords de la mer, ce qui correspond parfaitement avec les cent stades indiqués. Quant à l’espace donné pour la partie des terres couvertes de moissons, mais dépourvues d’a rbres, il paraît d’abord moins conforme avec l’aspect de cette contrée, puisque les terres cultivées de nos jours en céréales se prolongent au moins à six cents stades de distance au-delà du sommet des montagnes, c’est-à-dire à vingt-cinq lieues environ vers le sud. Cependant, quelque grande que soit cette différence, elle peut provenir, à mon avis, plutôt d’une réticence d énonciation que d’une erreur locale. Strabon et Pline ne veulent parler sans doute que des champs appartenant en propre aux Cyré- néens ; et dans cette supposition leur indication deviendrait on ne peut pas plus exacte ; car la partie la plus méridionale des terres cultivables dut être de tout temps au pouvoir des Libyens : ceci toutefois a besoin d’explication. Si l’on quitte les terrasses maritimes auprès desquelles furent fondées les cinq villes principales , désignées collectivement sous le nom de Pen- tapole ; et si l’on s’avance dans l’intérieur des terres, mais a travers la région élevée, le plateau cyrénéen, dont l’étendue, je le répète, du nord au sud, est de vingt-cinq à trente lieues, on marche continuellement sur des plaines sans cesse ondulées de vallées peu profondes, susceptibles partout de culture, et en grande partie cultivées, couvertesçà et là d’une végétation ligneuse, mais dépourvues de toutes parts de forêts. Durant la saison des pluies, cette immense plaine se reverdit; des ruisseaux nombreux , quoique momentanés, circulent dans les bas fonds , et les Arabes désertent les forêts pluvieuses pour venir animer oes solitudes de leurs joyeux campements. En été, c’est tout autre chose : le soleil darde ses rayons brûlants sur ce vaste espace nu ; il change les prairies de l’hiyer en terres pelées et grisâtres, et dépouille les arbrisseaux de leur feuillage que l’on voit épars autour des troncs desséchés. Le silence succède alors au tumulte des camps, et l’Européen peut parcourir en sûreté, mais non sans tristesse, ces plaines alors qu’elles sont devenues désertes. Toutefois un petit nombre de sources très-distantes l’une de l’autre arrosent encore dans cette saison quelques vallées privilégiées,. et attirent auprès d’elles les Nomades les plus pauvres de la contrée , ou ceux qui sont en guerre avec les autres tribus. Là se trouvent aussi des témoignages des temps antiques; mais loin d’être ceux de la civilisation, ils rappellent an contraire les hordes de Barbares qui la reléguèrent au littoral. Des tours isolées, massives de forme pyramidale, construites en briques, et entourées quelquefois d’enceintes spacieuses, tels sont les restes des campements des Libyens qui occupèrent ces plaines durant les phases les plus hrillantes de l’Autonomie de Cyrène, comme dans les temps de sa décadence. On ne peut douter que ces habitations, ou , pour mieux d ire , ces repaires, n’aient appartenu aux anciennes peuplades indigènes ; non seulement leur architecture informe n’a aucun rapport avec les monuments grecs et romains de la région littorale, mais elle s’accorde parfaitement avec ce que dit Diodore à ce su je t, d’après lequel nous savons que les plus puissants parmi les corps de Libyens de la Gyrénaïque n’habitaient point des villes, mais qu’ils possédaient des tours situées auprès des sources, où ils enfermaient tout ce qui servait à leurs usages (2). (1) D iod. Sicul. 1. IV, c. 4- Ed. Basileæ, per Henr. Pétri, p. 84.


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