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pour aller du haut de la Côte jufques aux
premiers rocs de la chaîne ifolée ; quoiqu'il
n'y ait guères plus d'un quart de lieue en ligne
droite.
A P R È S avoir atteint ces rocs, on s'en éloigne
d'abord pour monter en ferpentant dans un
vallon rempli de neiges, qui va du nord au
fud) jufques au pied de la plus haute cime.
Ces neiges font coupées de loin en loin par
d'énormes et fuperbes crevaffes. Leur coupe
vive et nette montre les neiges difpofées par
couches horifontales, et chacune de ces couches
correfpond à une année. Quelle que
foit la largeur de ces crevaffes, on ne peut
riulle part en découvrir le fond.
M E S guides defiroient que nous paffaffions
la nuit auprès de quelqu'un des rocs que l'on
rencontre fur cette route ; mais comme les
plus élevés font encore de 6 ou 700 toifes
plus bas que la cime, je voulois m'élever davantage.
Pour cela, il falloit aller camper au
milieu des neiges,; -et. c'eft à quoi j'eus beaucoup
de peine a déterminer mes compagnons
de voyage. Ils s'imaginoicnt que pendant la
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nuit il règne dans ces hautes neiges un froid
abfoJument infupportable, et ils craignoient
féneufement d'y périr. Je leur dis enfin que
pour moi j'étois déterminé à y aller avec ceux
d'entr'eux dont j'étois fur, que nous creuferions
profondément dans la neige, qu'on couvriroit
.cette excavation avec la toile de la tente, que
nous nous y renfermerions tous enfemble,
et qu'ainfi. nous ne fouffririons point du froid,
quelque rigoureux qu'il put être. Cet arrangement
les raffura, et nous allâmes en avant.
A quatre heures du foir nous atteignîmes
le fécond des trois grands plateaux de neige
que-nous avions à traverfcr. C'eft là que nous
campâmes à 1455 toifes au-deffus du Prieuré
et à 1995 au-deffus de la mer, 90 toifes plus
haut que la cime du pic de Téneriffe. Nous
n'allâmes pas jufqu'au dernier p'atcau, parce
qu'on y eft cxpofé aux avalanches. Le premier
plateau par lequel nous venions de paffer
n'en eft pas non plus exempt. Nous avions
traverfé deux de avalanches, tombées depuis
le dernier- voyage de BALMAT, et. dont les
débris couvraient la vallée dans toute fa largeur.