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abattre un miférable oifeau ; il mefuroit avec étonnement la distance prodigieufe, entre le Bubale & nous. Ses réflexions l’attrif- toiént ; il en étoit accablé. Je le confidérai avec attendriffément, & pris foin de le confoler. Bon jeune-homme qui ne favois pas tout ce qu’a de précieux & de touchant cette fimplicité, qui te faifoit fi petit devant ton Semblable ! ah ! garde long-temps ton heureufe ignorance , puiffé-je être le dernier Etranger qui , d’un pas téméraire, ait ofé fouler tes champs, & que ta folitude ne foit plus profanée! Nous couvrîmes le Bubale de branchages; & , de retour au logis, «je l’envoyai chercher avec un Cheval. Pour amufer Amiroo & fon camarade, j’employai le relie du jour à dépouiller mes oifeaux; je les retins pour la nuit, en leur annonçant que, le jour fuivant, ils me conduiroiént eux-mêmes à leur Horde ; cette nouvelle fut le lignai d’une joie' très-vive ; la foirëe fe pafla gaîmënt ; nous prîmes à l’ordinaire le thé à la crème devant un grand feu ; j’avois fait tuer un des Moutons que m’avoit envoyés Haabas ; le fouper fut charmant ; on danfa ; on fit de la mùïïque, & la Lyre immortelle ne fut point oubliée; j’en donnai deux à mes hôtes; ils en avoient vu dans les mains de toüs ceux de la Horde qui m’étoient venu ‘vifiter-iàvant eux ; laJrépu- fation de cet infiniment s’étoit bientôt répandue; ils mouraient d’envie d’en avoir, & n’avoiefit dfé m’en demander : en allant au- devant de leurs défirs , j’augmentai d’autant la confidération & l’amitié qu’ils avoiént pour moi. Lorfque l’heure ‘du fomihèil fut ventie, je prévins tout mon monde fur le voyage du lendemain, & je recommandai à Klaas que mes deux CheVaiix fuffent prêts à la pointe du jour. A mon réveil, le camarade d’Amifoo étôit parti pour prévenir Haabas de la vifite que j’allois lui tendre , dans le jour même. Quelle que foit l’imniétifité des déferts de l’Afrique, il' ne faut pas calculer fa population par celle de ces effaims innombrables de noirs qui fourmillent à l’Oueft & bordent'prëfquë toutes les côtes de l’Océan, depuis les Iles Cànâriés, ‘ou le Royautne de Maroc, jufqu’aux environs du Cap de Bonne-EfpéianCe ; il n’y a certainement certainement aucune proportion d’après laquelle on puiffe établir des aperçus même hafardés ; depuis que, par un commerce approuvé par le plus petit nombre, en horreur au plus grand , de barbares navigateurs d’Europe ont porté ces Nègres, par des appats déteftables, à livrer leurs prifonniers ou les plus foibles d entr eux^ ils font devenus, en proportion de leurs befoins, des etres inhumains & perfides; le Chef a vendu fon fujet : la mère a vendu fon fils, & la Nature complice a fécondé fes entrailles ! Mais ce trafic révoltant, exécrable, eft encore ignoré dans 1 intérieur du Continent ; le défert eft ftriûement le defert ; ce n eft qu’à des diftances éloignées qu’on y rencontre quelques peuplades toujours peu nombreufes, vivant des doux fruits de la terre ou du produit de leurs beftiaux ; il faut faire une longue marche, avant d’arriver d’une Horde à une autre. La chaleur du climat, l’aridité des fables, la ftérilité de la terre, la difette d’eau , les montagnes décrépités & graniteufes, les animaux féroces & plus que tout cela, fans doute , l’humeur un peu phlegmatique , & le tempérament froid du Hottentot font des obftacles a la repro-. dufrion de l’efpèce ; il eft peut-être fans exemple qu’un père ait compté fix enfans. Aufli le Pays des Gonaquois où je m’étois enfoncé ; ne raffem- bloit pas trois mille têtes, fur une étendue de trente ou quarante lieues, & la Horde de Haabas, qui montoit tout au plus à quatre cents perfonnes, de tout âge , de tout fe x e , paffoit pour l’une des plus confidérables de la Nation. Ce n’étoit plus ici ces Hottentots abâtardis & miférables qui languiflent au fein des Colonies, habitans méprifables & méprifés, qui ne connoiffent de leur antique origine que le vain nom, & ne jouiffent qu’aux dépens de leur liberté d’un peu de paix qu’ils achettent bien cher par les travaux exceflifs des habitations & le defpotifme de leurs Chefs toujours vendus au Gouvernement! Je pouvois enfin admirer un peuple libre & brave , n’eftimant rien que fon indépendance, ne cédant point à des impulfions étrangères à la Nature , & faites pour bleffer leur caraéhfre franc, vraiment philantropique & magnanime. Tome II. C C


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